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L’ordre des extraits ou textes revisités sera celui de la date de publication.

Actuellement : 

1. B. ALGRANTI-FILDIER, Analyse de livre Yves Buin, Psychiatries, l’utopie, le déclin, Perspectives Psychiatriques, (99/IV)

2. B. ALGRANTI FILDIER, Analyse de livre : Sami-Ali, L'Impasse Relationnelle. Temporalité et cancer. Dunod, Paris 2000. 

3 B. ALGRANTI FILDIER, Analyse de livre : D'un Siècle à l'autre, la Violence en Héritage, colloque du C.I.P.A. d'octobre 2001.

4. B. ALGRANTI FILDIER, Psychanalyse de l’enfant avec autisme aujourd’hui, Perspectives Psy, volume 45, N°3, juillet-septembre 2006, p. 217-220. (Editorial et coordination du numéro spécial Autisme)

5. B. ALGRANTI FILDIER, Analyse de livre : Anastasia Nakov, Création et métamorphoses dans les soins de l’enfant. Une histoire institutionnelle, Perspectives Psychiatriques, vol. 54, N°4, octobre-décembre 2015

 

Bibliographie. Articles.

1. B. ALGRANTI-FILDIER, J. FORTINEAU : Accueil Thérapeutique et Intégration Scolaire dans le cadre d’un Hôpital de Jour Séquentiel. 1996. Perspectives Psy, vol. 35, N°5, décembre 1996.

2. T. ESSAFI, M. DE TORERO, B. ALGRANTI-FILDIER, J. FORTINEAU. Attention Sélective et Psychopathologie Clinique. Neuropsychiatr. Enfance Adolesc., 1997, 45, (11-12), 793-795.

3. B. ALGRANTI-FILDIER, B. VIROLE, J. FORTINEAU. Intégration scolaire dans le cadre d’un hôpital de jour séquentiel. Place des approches cognitives. Synapse, septembre 1998, N° 148.

4. B. ALGRANTI-FILDIER, J. FORTINEAU : Dépressions mère-nourrisson. Pour une intervention précoce. »  (Intervention orale au Congrès S.F.P.E.A. de Poitiers des 23 et 24 Mai 1997 sur « La Dépression dans tous ses états »). Neuropsychiatr. Enfance Adolesc., 1999, 47, (1-2), 45-49.

5. B. ALGRANTI FILDIER, Psychanalyse de l’enfant avec autisme aujourd’hui, Perspectives Psy, volume 45, N°3, juillet-septembre 2006, p. 217-220. (Editorial et coordination du numéro spécial Autisme)

6. B. ALGRANTI FILDIER, Henry Bauchau : Du Labyrinthe à la Route, Revue Poésie Première, N°41 – Juillet/octobre 2008

7. B. ALGRANTI FILDIER, Secret et transmission. L’ombre portée des signifiants énigmatiques, Cahiers de Psychologie Clinique, Du Secret, De Boeck, 32, 2009/2

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Bibliographie. Analyses de livres.

 

1. B. ALGRANTI-FILDIER. Analyse de livre : Reflets. La Psychiatrie de l’Enfant  1958 - 1985. Numéro spécial P.U.F.1988.  Analyse parue dans Perspectives Psychiatriques, L’Hospitalisation et les états aigus de l’adolescence, 1990, N° 23, III, p 219.

2. B. ALGRANTI-FILDIER. Analyse de livre : C. CHARBIT et A. CERVONI,  L’Enfant Psychotique et l’Ecole, Païdos/ Bayard Editions, Paris 1993. Analyse parue dans Perspectives Psychiatriques, Quelques aspects du dialogue thérapeutique avec l’enfant, 1994, N°43, III, p178-179.

3. B. ALGRANTI-FILDIER, Analyse de livre Yves Buin, Psychiatries, l’utopie, le déclin, Perspectives Psychiatriques, (99/IV).

4. B. ALGRANTI-FILDIER, Analyse de livre, Folie d’enfance, sous la direction de G. Lucas, Perspectives Psychiatriques.

5. B. ALGRANTI-FILDIER, Analyse de livre Sami Ali, L'Impasse relationnelle, Perspectives Psychiatriques

6. B. ALGRANTI FILDIER, Analyse de livre. C.I.P.A. La Violence en Héritage, 2000, Perspectives Psychiatriques 

7. B. ALGRANTI FILDIER, Analyse de livre : Après l’Autisme, Comment sortir de l’état autistique,  sous la direction de Sesto-Marcello Passone et Hélène Suarez Labat.

8. B. ALGRANTI FILDIER, Analyse de livre : Bernard Golse, Mon combat pour les enfants autistes, Perspectives Psychiatriques, vol. 54, N°1, janvier-mars 2015

9. B. ALGRANTI FILDIER, Analyse de livre : Anastasia Nakov, Création et métamorphoses dans les soins de l’enfant. Une histoire institutionnelle, Perspectives Psychiatriques, vol. 54, N°4, octobre-décembre 2015

 

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Yves Buin. Psychiatries. L’Utopie, Le Déclin. Analyse de livre.

Yves Buin. Psychiatries. L’Utopie, Le Déclin, Erès 1999

Analyse par Brigitte Algranti Fildier

 

Dés son exergue emprunté à George Orwell, se proposant de défendre la Psychiatrie Publique, son essence et son avenir, Yves Buin se pose en figure combattante de l’homme « qui se bat à découvert et sans peur », « animé d’une colère généreuse », « une intelligence libre » qui vient pourfendre « toutes les petites idéologies malodorantes qui rivalisent maintenant pour le contrôle de nos âmes en référence à George Orwell écrivant « Sur Dickens ». Le ton est donné et ne faiblira pas.

Nous plongeons directement au cœur d’un combat implacable décrit entre deux logiques antagonistes. Celles-ci sont exprimées, pour mieux en exacerber les différences irréductibles, à travers une métaphore tirée du recueil d’articles rédigés par Arthur Koestler entre 1942 et 1944 et intitulé Le Yogi et le Commissaire, le thérapeute faisant ici fonction de Yogi et le gestionnaire celui de Commissaire. 

Le Yogi n’est pas attaché au matériel, il n’a d’entretien qu’avec l’esprit, son mystère et ses pouvoirs. Son exigence de lumière, là où il se meut, ne souffre pas la compromission. Il est caution et gérant d’une expérience libératrice. Le gestionnaire assimilé au Commissaire, fidèle à sa mission de l’ordre et de l’économie, souvent doublé du bureaucrate, reste penché sur le grand livre de recettes et de dépenses, en quête d’un impérieux équilibre pour lequel il risque carrière.

La critique est acerbe et l’ironie coléreuse sévère. Ce petit livre de 125 pages se veut particulièrement incisif. Il attaque de front la logique libérale qu’il pourfend et compare dans son évolution et sa pensée unique et simplificatrice à la Police de la Pensée dessinée par George Orwell dans 1984. Forme douce et invasive du totalitarisme, elle participe activement à la menace de nouveaux grands renfermements qui guettent notre société.

Mais il s’attaque aussi à tous les psychiatres qui se résignent, se soumettent, démissionnent ou se figent dans un état d’indifférence, à ceux aussi qui ont laissé s’installer dans la Psychiatrie Publique Dynamique animée par l’esprit de Secteur et nourrie de pensée psychanalytique, des « ingérences autoentretenues », des « projets poussifs », des « services englués », des « participations formelles à l’innovation », des « rigidités rebaptisées exigences thérapeutiques et conceptuelles ». Il dénonce la litanie plaintive qui remplace trop souvent la détermination à s’opposer aux effets de l’entreprise gestionnaire, l’« àquabontisme » et l’aboulie politique, la dérive corporatiste et le clientélisme des syndicats de psychiatres…

Il invite ainsi les psychiatres à renouer avec l’esprit de la Résistance qui a donné naissance dans le même mouvement que celui de l’introduction de la psychanalyse, à partir des années soixante à la Psychiatrie dite de Secteur dont il préfère l’appellation « Psychiatrie Communautaire » ou « Psychiatrie dans la Cité ». La psychiatrie est entrée alors à part entière dans l’espace politique et s’est battu pour le désaliénisme, analogue à la sortie d’un totalitarisme, et contre l’exclusion. Le « fou » dont la souffrance a été reconnue comme reflet de la souffrance collective, comme pathétique résistance de l’individu à l’écrasement, s’est mis de par sa fonction à interroger la société et les institutions.

La Psychiatrie publique s’est attaché à défendre les liens organiques entre milieu de vie des malades et milieu soignant, la proximité des lieux de vie et des lieux de soin, la relation communautaire et la continuité du soin par une même équipe pluridisciplinaire. Ses propositions et ses pratiques ont induit dans son champ, carrefour entre les sciences dites humaines, les neurosciences et la médecine, d’intenses élaborations, des affrontements théoriques, des implications relationnelles profondes. De ce chantier, sont sorties nombre d’innovations. Certains modèles mis en avant, et déjà bien anciens, comme les hôpitaux de jour, les visites à domicile, la prise en compte de la parole multiple, la nécessité d’un travail d’équipe, ont influencé progressivement toute la médecine et atteint la forteresse de pouvoir qu’était l’hôpital général.

Mais depuis quelques années, le souffle manque et la discipline, de nouveau, est en question. Le souci gestionnaire s’embarrasse peu de nuances. Tout est confondu et la psychiatrie noyée.

Yves Buin dénonce une méconnaissance profonde basée sur un leurre. La Psychiatrie, à qui a été reconnue en 1969 une place disciplinaire majeure à côté du « peloton » MCO (Médecine, Chirurgie, Obstétrique), choyée au début, s’est vue rapidement alignée sur le dispositif hospitalier, laissant au secteur extrahospitalier, terrain par excellence de la pratique psychiatrique, une place de rejeton. L’hospitalisme souverain n’a été qu’égratigné et peut-être la psychiatrie a-t-elle perdu son âme en croyant gagner en crédibilité. Aujourd’hui, dans l’esprit libéral régnant, l’Hôpital tend à être considéré comme une entreprise parmi les autres et fait dériver la discipline dans son sillage vers une médecine technique et scientifiquement évaluable. Les restrictions budgétaires, le rééquilibrage des moyens consistant à prélever sur les services bien équipés pour saupoudrer sur les déshérités  et menant à une pauvreté généralisée, coïncidant avec une augmentation de la détresse et des pressions sociales, nous entraînent inexorablement dans un cercle vicieux.

L’enjeu est important. En nous invitant à prendre conscience de notre part de responsabilité dans la crise actuelle de la Psychiatrie Publique, en nous incitant plutôt vertement à refuser l’enlisement et la tiédeur qui semble représenter une tendance actuelle et à garder vivantes nos capacités d’innovation. Yves Buin nous exhorte à résister.

Résister, nous rappelle-t-il, c’est être fidèle à ce que, institué comme valeur, définit une éthique. Le nôtre est l’accueil du sujet en interaction avec son environnement et dont la souffrance est l’expression d’une vérité conflictuelle en lui-même, celle de l’exploration et du respect de la causalité psychique qui n’obéit à aucune règle mécanique. Nous devons, nous dit-il, nous positionner de nouveau et fermement contre la dérive technocratique, la toute-puissance scientiste et médicalisée, contre la tendance à l’instrumentalisation de la psychiatrie où lui sont demandées des réponses au malaise social et parfois même une aide pour éradiquer de légitimes révoltes. Ainsi nous participerons à un mouvement qui semble renaître depuis deux ou trois ans dans lequel des îlots de résistance commencent à s’organiser au sein d’un espace critique philosophique et social.

Cri d’alarme et appel à résistance, cet ouvrage, souvent impertinent, souvent iconoclaste, nous était nécessaire. 

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Peut-être pourrions-nous seulement regretter que ce petit livre bleu soit destiné seulement aux psychiatres dans une discipline où la pluridisciplinarité et aussi essentielle.

Nous pourrions ajouter encore, pour revenir à la métaphore du Yogi et du Commissaire, qu’Arthur Koestler nous mettait en garde contre « la subordination des moyens à la fin » - la fin étant sans doute pour nous la réduction des dépenses de santé – politique des Commissaires « dont la pente vous fait glisser toujours plus bas sur le tapis roulant de la logique utilitaire ». Il ne défendait pas la seule logique du Yogi dont il dénonçait aussi la pente dangereuse, celle où la croyance à la seule puissance de l’esprit engagé dans une non-violence exclusive laisse le champ libre à tous les totalitarismes, « pente » de la logique des Commissaires, quand elle est exclusive. Il cherchait à en dépasser l’antinomie dans la quête d’une solution - provisoire comme toutes les solutions – où au « pouvoir d’action » et au « pouvoir de communion » nous trouverions un dénominateur commun dans lequel la logique illogique des « nuits yogi » du rêve et de l’inconscient serait intégrée au cœur de la rationalité des « jours commissaires » dont elle fournit les ressources vitales.

Mais cela peut-être relève-t-il de l’utopie.

 

Docteur Brigitte Algranti Fildier, 26 juin 1999.

Sami-Ali, Psychosomatique, L'impasse relationnelle.

Sami-Ali L’impasse relationnelle. Temporalité et cancer Dunod, Paris 2000.

Analyse de livre. 

Psychosomatique. 

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Suivant le fil rouge de l’ensemble de son œuvre, Sami-Ali propose ici la retranscription de six longs entretiens de recherche ayant trait au cancer du sein, suivis de commentaires reprenant et organisant les données retrouvées à travers le cheminement de son exploration. Le livre qui en résulte, nous précise-t-il, est le fruit d’une longue expérience thérapeutique dans le domaine de la maladie cancéreuse.

 

Ces entretiens, effectués entre janvier 95 et janvier 98, sont présentés selon un ordre allant de ce que l’auteur nomme l’ordinaire jusqu’au banal, en passant par l’ordinaire et l’extraordinaire, le quotidien, le quotidien et l’aléatoire, le fonctionnel, expliqués comme des catégories de fonctionnement prédominant chez ces sujets, mises en place pour rester adapté malgré l’existence décisive d’une impasse relationnelle coïncidant avec la vie même.

 

C’est l’exploration de la temporalité dans sa dimension affective, en tant que renvoyant à la finitude de la vie, laissant se profiler l’impasse comme forme ultime du destin, et non selon une perspective exclusivement fixée sur la représentation, nous explique l’auteur dans son avant-propos, qui l’a particulièrement guidé dans cette recherche que nous suivons avec un  intérêt jamais lassé, tant la place reste ouverte au lecteur pour sa propre réflexion.

 

Dés le début, il nous incite à retenir constamment présente à l’esprit la perspective théorique qui préside à l’élaboration de cette recherche quand nous venons à aborder les cas cliniques, afin de trouver nous-mêmes notre proche chemin à travers une complexité qui va croissant avant de parvenir à une synthèse finale. De fréquents retours en arrière s’imposent également dans ce même but de participer activement à la recréation dans le temps d’un événement qui est d’abord un fragment du temps : quelque chose comme le déchiffrement d’une partition musicale qui, autrement, resterait muette.

 

Nous suivons donc dans leur déroulement exhaustif ces cas cliniques reproduits tels quels, dans une exactitude parfois phonétique tendant à restituer la parole en tant que souffle. Les hésitations, les silences, les reprises, les répétitions et ruptures dans le discours des patientes, les questions de l’investigateur qui tendent à en infléchir le contenu et à ouvrir des voies, nous sont offerts comme un matériel à explorer nous-mêmes. Au fil de ses commentaires qui suivent chaque entretien, nous pouvons glaner alors, outre les éléments théoriques et de précieuses indications thérapeutiques, par petites touches, des réponses aux questions que nous nous formulons au cours de notre lecture. Ainsi explique-t-il comment il a voulu éviter la mise en place d’une technique et créer dans l’entretien chez lui une atmosphère quasi onirique, où le thérapeute laisse alors s’opérer en lui effets et éventuels liens et reste attentif à ses réactions contre-transférentielles. Guidé par celles-ci et les données affectives perçues dans la relation qui s’établit – ennui, désorientation, sentiment de confusion, empathie…- l’auteur oriente ses questions et poursuit son investigation dans la direction de la vie onirique et des souvenirs d’enfance quand ils restent accessibles.

 

Mais la grande richesse de cet ouvrage réside dans la notion centrale d’impasse relationnelle, que nous retrouvons nous-mêmes peu à peu chez chaque patiente dans notre parcours de lecture. Evidente ou cachée à démasquer, celle-ci, prenant la forme du destin, détermine la vie relationnelle des personnes interrogées, et l’ensemble de leur fonctionnement psychosomatique. Le refoulement caractériel qui y prédomine, mis en œuvre précocement pour continuer à vivre d’une manière adaptée, survivre pourrait-on dire même quelquefois, établit une distance maximale avec l’expérience affective, et occulte, du même coup, la conscience onirique au profit de la conscience vigile.

 

Comme nous le constatons dans ces exemples frappants, cette impasse relationnelle existe depuis l’enfance, déterminante, mais le cancer semble se développer lorsque des circonstances particulières de la vie ne permettent plus d’échappatoire. L’impasse se fige comme la relation à l’autre, le sujet y reste piégé dans une situation d’enfermement. Au préalable, l’échappatoire pouvait être l’investissement d’un travail, la pratique de sports, l’organisation particulière de la vie quotidienne et familiale, permettant au sujet une certaine liberté en forme de fuite, en particulier des affects, avec quelquefois oublis des souvenirs d’enfance et des traces de rêve. Le facteur déclenchant, au contraire, ferme les issues : la prise de la retraite, le divorce, le décès de celle dont l’amour a toujours été espéré et qui ne viendra plus, … Le temps devient vide, replié en un mouvement circulaire perpétuel. Le sujet se réfugie dans le moyen terme, l’occupation répétitive sans élan et sans but.

 

L’expérience de l’auteur lui a ainsi toujours confirmé l’importance exceptionnelle de penser la maladie en fonction d’une impasse relationnelle à découvrir et, une fois découverte, de fonder tout le travail sur la nécessité de s’en dégager. La stratégie thérapeutique se centre alors sur celle-ci et tend, non pas à sortir de l’impasse, puisque, par définition, il n’y a pas de sortie, mais à transformer les termes de l’impasse de manière à la dissoudre, à défaut de pouvoir la résoudre.

 

Un point fondamental, particulier, dans la conception de Sami-Ali à côté des autres théoriciens des fonctionnements psychosomatiques et sur lequel il insiste une nouvelle fois ici, reste le caractère non constitutionnel mais défensif d’une telle organisation caractérielle. Il ne s’agit certes pas d’une quelconque carence mais l’aboutissement d’une longue élaboration empruntant la voie de l’organisation caractérielle. Les traits négatifs  - vie onirique effacée, neutralité des affects, appauvrissement général de la vie fantasmatique, des intérêts, des investissements…, adaptation sans heurts –  ne sont pas à prendre à la lettre, ni à interpréter comme le signe de quelque chose qui manque réellement, puisque au contraire ils découlent d’un refoulement durable qui porte sur le rêve et l’affect, en transformant tout le caractère. Le moins ici signifie le plus, et là où rien n’apparaît il faut plutôt reconnaître les effets à long terme d’une force constante agissant pour perpétuer un premier refoulement tôt mis en place en vue de l’adaptation, et le maintenir contre vents et marées.

 

En découlent de nouvelles conséquences thérapeutiques : retrouver le rêve et l’affect, une fois instaurée, grâce à la relation thérapeutique, une continuité de fonctionnement que le refoulement a réussi à interrompre. A travers cette relation, l’affect et la représentation ne sauraient être traités séparément, parce qu’ils sont l’avers et l’envers d’un même phénomène. Phénomène éminemment relationnel capable de fonder ce qu’on pourrait appeler la représentation affective du monde dans laquelle l’affect, au lieu de se réduire à une réaction subjective à éviter autant que possible, s’ouvre au contraire à la connaissance d’autrui.

 

Ainsi, ce nouvel ouvrage de l’œuvre de Sami-Ali s’adresse-t-il à tous ceux qui veulent, par un travail personnel de lecture, non seulement affiner leur compréhension de la clinique psychosomatique mais aussi mieux saisir les conséquences à l’intérieur de la vie psychique et dans l’ensemble du fonctionnement affectif, intellectuel et social, d’une impasse relationnelle renvoyant aux relations précoces.

 

 

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La Violence en Héritage. Analyse de livre

La Violence en Héritage

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Analyse d’un livre issu du Colloque du Collège International de Psychanalyse et d’Anthropologie (C.I.P.A.) des 20 et 21 octobre 2001.

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Mots clés : Liaison et déliaison ; Lien social ; Recours à l’acte (Cl. Ballier) ; Violence au travail (Ch. Dejours) ; Violence dans l’art (J. Levine) ; Violence individuelle et violence sociale ; Violence et enfance ; Violence et Psychiatrie ;  

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D’un Siècle à l’Autre : la Violence en Héritage. Perspectives psychanalytiques et anthropologiques.  Colloque du Collège International de Psychanalyse et d’Anthropologie (C.I.P.A.) des 20 et 21 octobre 2001. Collection Explorations psychanalytiques. 2001 In Press Editions.

 

La montée et les nouvelles formes de violence dans la société contemporaine se présente comme le point de départ de ce recueil de textes en provenance d’un colloque organisé par le Collège International de Psychanalyse et d’Anthropologie (C.I.P.A.) en octobre 2001 à Paris.

L’ouvrage est formé de trois parties intitulées : I. Un social sans lien ; II. La folle illusion de la normalité ; III.  L’art, actualité du malaise. L’ensemble, comme chacune de ces parties, fait l’objet d’un texte d’introduction et d’un texte de synthèse rédigés par un membre du C.I.P.A.

 

Ce procédé confère au tout à la fois la qualité d’une démarche collective structurée et la qualité de pensées particulières s’inscrivant dans des champs spécifiques – celui du travail (Ch. Dejours), celui de l’art (J. Lévine ), celui de la pornographie ou de la « pornocratie » (J. Chassenet-Smirgel), celui de la psychiatrie (Y. Buin), celui des prisons (Cl. Balier), et depuis le nourrisson en souffrance (V. Lemaître) jusqu’à l’adulte criminel (Cl. Balier) en passant par l’enfant violent (A. Ramirez Lévine), autant de champs, de niveaux et d’âges apparemment disparates qui pourtant s’articulent et se lient dans cette recherche approfondie des modalités et des causes de la violence dans notre actualité partagée.

Le constat le plus général est celui de la souffrance du lien social, chacun se trouvant isolé dans son individualité et les pressions qui s’exercent sur lui. Immédiateté, surcharge, trop-plein d’excitations, course à la compétitivité, perte de la subjectivité, tous ces maux mis en perspective dans ces textes participent au malaise dans la culture d’aujourd’hui d’où naissent les nouvelles formes de la violence.

 

La première partie s’emploie à circonscrire les grandes lignes évolutives qui forment le soubassement dans lequel va s’inscrire où s’inscrit déjà la pathologie humaine et à mettre en regard ces constats évolutifs, voire structuraux, avec le cadre théorique de la psychanalyse.

Dans son texte de portée particulièrement puissante intitulé Le travail entre banalisation du mal et émancipation, Ch. Dejours reprend un cheminement développé dans son ouvrage Souffrance en France au regard de la notion de harcèlement moral dans le monde du travail et de l’entreprise…Son propos se situe du côté de l’analyse des phénomènes constatés dans la violence au travail : progression organisée d’une forme de barbarie au nom de l’efficacité et de la compétitivité, banalisation du mal, collaboration des braves gens, disparition de la solidarité, pathologie de la désolation, souffrance éthique, clivage, … et du côté des voies possibles pour s’en dégager et entrer en résistance psychique : refuser de s’éloigner de sa propre subjectivité, récupérer la capacité de s’éprouver et de se sentir soi-même, assumer l’angoisse de penser même lorsque aucune issue ne se présente dans le domaine de l’action ; trouver une « autonomie morale subjective » malgré les risques d’aliénation sociale quand celui qui retrouve sa capacité de penser par lui-même se voit soumis au rejet de ceux qui adhèrent par soumission au système engendrant la violence.

Dans Violence et création psychique, Claude Balier et Véronique Lemaître opèrent une union aussi éclairante qu’imprévue entre un nourrisson figé dans l’effroi du regard vide de sa mère et un criminel absent comme sujet de ses actes. Véronique Lemaître soutient, l’hypothèse de Claude Balier selon laquelle le meurtre ou l’agression pourraient avoir valeur « d’effort » de réparation de blessures précocissimes par ce qui serait recours à l’acte et non passage à l’acte. Le point de rencontre se trouve alors dans le processus de répétition où l’acte représente le seul moyen vers la représentation de l’irreprésentable, dans un objectif de faire naître l’existence du sujet là où il n’y avait « qu’imprégnation-chose », c’est-à-dire sans formulation par l’autre.

Puis Annie Ramirez Lévine s’interroge, devant la grande fréquence des consultations pour des enfants violents de plus en plus jeunes, sur l’amputation de la dimension des autres en soi comme témoin de la carence de l’axe institutionnel dans la structuration psychique. Face à cette carence privant l’enfant comme ses parents de la possibilité de s’étayer sur une famille, elle-même étayée sur une structure institutionnelle qui la transcende, elle propose, avec la parabole de la boule et des tiroirs, un aménagement du cadre analytique avec ces enfants.

 

Dans la deuxième partie intitulée La Folle Illusion de la normalité, trois auteurs soulignent une inquiétude commune qui est celle du retour de la barbarie sous une forme épurée. Face à une pensée pragmatique, rationnelle et simplificatrice qui est celle employée par le discours de la modernité, la folie apparaît, non plus comme une expression de la subjectivité dans une histoire à retracer où les fantômes sont de retour (Jean-Marc Gaudillière),  mais comme une déviance à normaliser, à réadapter. Dans un langage qui ne supporte plus le doute, sont prônées la technicité et la scientificité. Dans le champ de la Psychiatrie, Yves Buin reprend quelques analyses de son ouvrage Psychiatries, l’utopie, le déclin et insiste sur la remédicalisation et le contrôle gestionnaire qui mettent à mal le discours sur la folie tenu par les désaliénistes depuis la fin de la seconde guerre mondiale et qui se fondait sur la psychanalyse, le marxisme et l’humanisme chrétien. L’hôpital est transformé en entreprise soumise au diktat de la productivité. Sont expulsés de cette société qui avance comme « machine folle », les champs de l’expérience, de la sexualité, du doute et de la subjectivité.

 

Enfin, dans la troisième partie, il s’agit d’interroger les productions artistiques contemporaines en tant que transformations sociales et éthiques de notre société.

Jacques Lévine, dans un magnifique texte sur les Fonctions de l’image dans l’histoire de la peinture et à partir de sa conception de la peinture comme à la fois élan pour faire corps avec les forces dont nous avons besoin pour nous compléter et, angoisse de décomplètement, tentative de liaison dans le cadre d’une menace de déliaison, nous propose sa vision de cette histoire comme étant divisée en deux temps, le premier montrant le triomphe du complètement, le second celui du décomplètement, en particulier à partir de la seconde guerre mondiale. Peinture de la cruauté et du monstrueux, peinture de la coupure des liens et de la sidération pour les forces archaïques, la peinture fonctionne comme l’ouverture d’une crypte, la montée au jour de ce qui taraude. Et dans ce donné à voir prégénital, obscur, barbare, le peintre révèle les manques et les demandes de notre époque : un immense besoin de points d’appui, de racines, de perspectives et de forces de complètement.

 

L’ensemble représente un travail de haute qualité qui ne se contente pas de superposer des points de vue particuliers mais travaille à les articuler et à les mettre mutuellement en résonance. Nous cheminons dans ces directions et perspectives pour construire en nous-mêmes une vue élargie qui ne peut qu’enrichir le point de vue individuel de la psychopathologie quotidienne en la situant à l’intérieur des phénomènes sociaux qui en constituent les contenants.

 

B. ALGRANTI   FILDIER         Juin 2003

 

Psychanalyse de l’enfant avec autisme aujourd’hui. Juillet 2006. Brigitte Algranti Fildier

Psychanalyse de l’enfant avec autisme aujourd’hui. Juillet 2016.

Résumé

Cet article présente les principaux objectifs et modalités du travail individuel d’un psychanalyste avec un enfant souffrant d’autisme et ses parents aujourd’hui. Il met en lumière l’essence de cette approche très spécifique et cadrée qui se différencie et s’articule à d’autres approches. Il décrit la disposition d’esprit du thérapeute nécessaire à l’établissement et à la poursuite du processus de la cure, les données de base sur lesquelles il s’appuie, les buts qu’il poursuit et le processus qui s’installe.

Mots clés : autisme, psychanalyse individuelle, Moi-corporel, symbolisations primaires, symbolisations secondaires.

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Psychanalyse d'un enfant avec autisme aujourd'hui. Extrait

Psychanalyse d'un enfant avec autisme aujourd'hui. Extrait.

 

L’approche psychanalytique propose un soin fondé sur des modèles de la vie psychique et des processus de développement.

Elle prétend représenter un maillon nécessaire pour l’évolution d’un enfant avec autisme. Elle continue à évoluer en lien avec les avancées de la recherche théorico-clinique psychanalytique et de celle issue d’autres domaines, notamment les neurosciences, et avec l’expérience accumulée s’échangeant entre les professionnels dans des espaces tiers de réflexion. Le processus psychanalytique se sert des capacités du thérapeute à décrypter le langage préverbal, à utiliser la relation transféro-contre-transférentielle (…)

Les psychanalystes partent du postulat que tout ce que montre l’enfant dans ses comportements prend sa source dans un mouvement interne et a ainsi un sens qu’il importe de repérer pour entrer en communication avec lui.

Les échanges établis entre l’enfant et le thérapeute vont permettre la reprise des processus de développement restés en suspens et la mise en place des contenants de pensée indispensables à l’utilisation vivante des apprentissages. (…)

L’expérience accumulée permet d’expliciter la disposition d’esprit dans laquelle doit se trouver le thérapeute dans la rencontre avec l’enfant souffrant d’autisme qui a tendance à entraîner tout adulte en sa présence, comme en écho, à se couper de lui, tomber dans son propre retrait, sans émotion et sans élan. L’attitude d’accueil thérapeutique doit alors être encore plus vivante, réceptive, sensible et fiable qu’avec n’importe quel autre sujet. Anne Alvarez a trouvé une belle expression pour la nommer : la « vivance émotionnelle » ou encore la « présence bien vivante ». Elle doit permettre à l’analyste d’éviter deux écueils : celui d’« une attitude trop passive et complaisante » et celui d’« une attitude trop directive manquant d’empathie ». Le psychanalyste reste ainsi réceptif à l’impact émotionnel de ce qui se passe en sa présence. Prêt à accueillir l’inattendu, il s’accorde à ce qui émane de l’enfant, dans le sens de l’accordage affectif très bien décrit par D. Stern (…)

Dans le cadre proposé, régulier et stable, l’enfant va en quelque sorte repasser sur les processus les plus primitifs avec son corps et avec l’espace. (…)  Il va d’abord mettre en acte les premières figurations des éprouvés corporopsychiques primaires [13], appelées encore symbolisations primaires intracorporelles (R. Roussillon, G. Haag), dans un mouvement de projection sur l’architecture de ces éprouvés corporels et de l’image du corps. (…) Peu à peu, si le thérapeute sait éviter toute rupture brutale du cadre, un processus très repérable va se mettre en marche. (…)

J’ai reçu Augustin pour la première fois à l’âge de quatre ans, alors qu’il n’avait encore bénéficié d’aucun soin et n’avait aucun langage. (…)

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Article : Secret et transmission

Secret et transmission.

L’ombre portée des signifiants énigmatiques.

Brigitte ALGRANTI  FILDIER

(Psychiatre psychanalyste.)

 

Les fantômes ne rôdent pas dans les limbes. Ils n’existent que dans la rencontre. Ils n’ont d’autres lieux que leur apparition. Quand ils disparaissent, c’est totalement. Ils n’ont pas de vie intérieure, ils n’ont pas de vie quelque part, ils n’ont ni psychologie ni mémoire. Ils ne souffrent pas. Ils naissent de notre hantise, qui les allume et les éteint, oscillants, pauvres chandelles. Ils ne sont que pour nous. Marie Darrieussecq Le Pays.

 

 Elle ne croit ni aux fantômes ni aux maisons hantées, mais elle croit à la force des sentiments quand ils montent à l’aigu, qu’ils soient bons ou mauvais, à la puissance des émotions, surtout si elles sont violemment celées, à l’énergie de certaines pensées, surtout si elles sont farouchement tues. La chair alors, saturée de toute cette énergie captive, et le cœur trop meurtri de non-dits, de mensonges, de peurs, de regrets finissent par crier à bout de souffle tout cela qui ne pouvait, qui ne voulait pas être dit. (…) » Sylvie Germain, Magnus.

 

De « l’effet fantôme » chez un sujet vers la poussée à transmettre au cœur du silence même chez son parent, notre recherche nous mène ici à explorer d’une part, la nature et les mécanismes de constitution de ces objets bizarres, inconscients et agissants, logés en noyau mélancolique ou imagos persécutrices dans la psyché d’un sujet, et, d’autre part et en amont, les effets dans celle du parent des traumas tenus secrets qui l’habitent à l’insu de l’enfant, et à déceler comment ils peuvent envoyer leurs impacts dans la relation avec lui, en projections intrusives  ou en ombres mélancoliques infiltrantes. Transmission psychique traumatique, empiètements imagoïques et signifiants énigmatiques nous aideront en fils conducteurs dans cette recherche, à travers exemples cliniques et littéraires.

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B. ALGRANTI FILDIER, Analyse de livre : Anastasia Nakov, Création et métamorphoses dans les soins de l’enfant. Une histoire institutionnelle, Perspectives Psychiatriques, vol. 54, N°4, octobre-décembre 2015

 

Anastasia Nakov, Création et métamorphoses dans les soins de l’enfant. Une histoire institutionnelle

Ou Le Secteur Infanto-Juvénile, naissance, vie, splendeur... et déclin ?

Par Brigitte Algranti Fildier

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Voici le témoignage d'une aventure, celle de la psychanalyse entrant dans le monde asilaire et traçant son chemin pour l'avènement du soin psychique à tous les âges de la vie, à travers l'expérience d'un Secteur Infanto-Juvénile, de 1974 à nos jours.  

Fermer les asiles ou les transformer, permettre l'accès aux soins de tous au plus près du milieu de vie, lutter contre l'exclusion des malades mentaux, construire des unités de prévention, de dépistage et de soin les plus opérants et les plus précoces possibles, et faire entrer la vie psychique avec ses ordres et ses désordres dans la conception et le soin des troubles mentaux…..tous ces facteurs ont représenté le moteur et la motivation inlassable des acteurs de la Sectorisation en psychiatrie, alors pionniers qui essaient maintenant d'en transmettre l'expérience.

Cette expérience, faite d'observations cliniques et de remise en mouvement constant des modèles théoriques successifs servant de base aux actions thérapeutiques, a ouvert de grands espaces de pensée. Elle a permis non seulement l'accès à la souffrance psychique originaires de ces désordres mentaux sur plusieurs générations souvent, mais aussi leur soin à travers des dispositifs soignants tout à fait révolutionnaires mais qui demandent ce temps, cette formation et réflexion permanentes qui sont devenues un luxe dans notre société obsédée par la rapidité, la rentabilité, l'opératoire et la sécurité.

Commencent à être oubliés les soubassements de cet élan qui a porté pendant quatre décennies les acteurs de cette aventure et qui étaient encore inimaginables à ses débuts. Ils sont rappelés ici : 1. la souffrance psychique des enfants existe ;  2. Les parents dont les enfants sont « internés », dans ces asiles qui rassemblaient des centaines d’enfants mêlant sans distinction dans ce qui étaient nommé « arriération profonde »  les pathologies psychiatriques et les polyhandicaps, peuvent s’en occuper aussi, venir les voir, les reprendre avec eux… puis ne plus s’en séparer. 3. Les soins doivent être organisés dans des structures insérées au sein du milieu de vie des familles.

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Il est fondamental de rappeler que la psychanalyse, bien mise à mal à notre époque, a été la force motrice de cet élan. Elle a imprégné tous ces acteurs, les a formés à reconnaître la vie psychique de plus en plus précoce et ses aléas. Et a permis de développer dans le champ de l’enfance le dispositif de prévention, de dépistage et de soin qui existe encore aujourd’hui et tente de survivre. Ce livre en porte témoignage.

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1974-2014… Quatre décennies.

Des trois premières, Anastasia Nakov nous offre sa vision de pionnière et de chef de service : (…)

Tout d’abord donc, fermer les lits d’internat et redéployer les moyens sur des structures nouvelles diversifiées, adaptées au contexte, et articulées dans un ensemble institutionnel nouveau.

Psychiatres et psychologues, entourés de leurs équipes de psychomotriciens, art-thérapeutes, infirmiers, éducateurs, orthophonistes éclairés par ces avancées de la psychanalyse et leurs propres  expériences professionnelles font s’approfondir les connaissances psychopathologiques et s’améliorer grandement les pratiques de soin.

Il faut absolument rappeler là qu’en 1974 même la douleur physique des nourrissons n’était pas reconnue dans les hôpitaux. Il faudra encore une décennie pour qu’elle le soit. La reconnaissance de la souffrance et les troubles psychiques des enfants en deçà du langage mettra encore des années. Et c’est bien le souffle psychanalytique qui a enfin rendu apparents ces processus obscurs, inconnus et si longtemps niés.

 

Rester active et créative ; participer à toutes les avancées permises par les travaux des psychanalystes d’enfants ; transmettre la connaissance toujours plus grande de la vie psychique précoce, de ses aléas et de ses entraves berceau des troubles mentaux ultérieurs ; améliorer les dispositifs soignants : voilà la carrière et l’œuvre forte d’Anastasia Nakov « Médecin Chef », comme on disait alors, du Secteur Infanto-Juvénile de Metz et qui a laissé un souvenir marquant pour tous ceux qui l’ont côtoyée. 

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Outre l’ouverture de structures d’accueil et de soin à proximité du lieu de vie des enfants, à savoir un Internat Thérapeutique et un Centre Médico-Psychologique (Le « Centre Winnicott » nommé ainsi pour souligner les liens organiques entre la pédiatrie, la pédopsychiatrie et la psychanalyse), puis un Hôpital de Jour et une Unité de Soins pour Jeunes Enfants, puis, enfin, un « Centre d’Accueil pour la Santé des Adolescents » avec 5 lits en internat, elle commence  par installer les principes de base de la psychiatrie psychanalytique de secteur rappelés plus haut.

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Qu’apporte donc la psychanalyse dans un tel contexte, comment a-t-elle transformé les modèles et les pratiques en psychiatrie ? Pourquoi, après un tel essor et un tel succès, est-elle autant attaquée de nos jours ? Déjà, pour la première question, nous avons un bon aperçu au fil des pages.

 

D’abord, le modèle médical traditionnel a été remis en question. « On ne cherche plus à définir les syndromes, les maladies, les traitements dits adéquats, mais le centre de gravité est déplacé vers la souffrance psychique et vers son retentissement individuel, familial et institutionnel. Et d’emblée la psychanalyse vient au secours de la pensée en étayant l’approche et les démarches thérapeutiques avec, comme objectif, la croissance psychique des enfants. » Tout cela ne va pas sans efforts, remous et travail de construction inlassable avec une créativité toujours à renouveler.

 

Dans l’institution comme dans les thérapies individuelles ambulatoires, l’approche psychanalytique consiste à une analyse des processus psychiques de chacun, enfants, familles et soignants, des transferts, contre-transferts et inter-transferts dans des cadres énoncés clairement. L’observation sur le modèle de la Méthode d’Esther Bick pour l’observation des nourrissons, par exemple, est utilisée pour affiner la reconnaissance des plus infimes mouvements corporo-psychiques d’un enfant dans un groupe et raviver alors la participation émotionnelle des soignants, cette participation émotionnelle étant reconnue comme un levier central du processus de soin.

Dans l’institution, internat ou hôpital de jour, afin d’en assurer le caractère thérapeutique, chaque temps, atelier, groupe, bénéficie d’une « reprise » régulière où sont explicitées les observations et ressentis des adultes dans leur relation aux enfants. Dans le même temps, sont traduits les vécus émotionnels et les mouvements corporels et psychiques des enfants, tous éléments témoignant de la croissance psychique qui permet de devenir un sujet désirant, autonome et en lien avec l’autre et avec l’environnement, communiquant vers et réceptif à l’autre, avançant avec l’autre dans un espace transitionnel possible, ciment de la symbolisation et de la pensée.

Et si les aspects cognitifs sont pris en compte, ils sont confiés préférentiellement aux enseignants dans les structures de soin ou dans les classes ordinaires ou spécialisées. Et s’articulent avec les aspects psychologiques et psychopathologiques dans toutes les pratiques institutionnelles mises en place.  

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Dans chacune de ces unités thérapeutiques, le travail soignant est décrit avec des illustrations cliniques. On notera les supervisions toutes ces années par des membres de la Société de Thérapie Familiale Psychanalytique d’Ile de France, par Didier Anzieu, Christine Leprince et Anne-Marie Blanchard…

Thérapie Familiale psychanalytique, psychomotricité, ateliers à médiation, groupes thérapeutiques, ateliers d’art-thérapie, différents temps soignants à l’hôpital de jour, séjours thérapeutiques, sont décrits précisément par l’auteure qui reprend également des textes de ses collaborateurs, notamment la riche description du travail thérapeutique avec les enfants et leur famille par Anne-Marie Blanchard dans SOS, Enfance en Détresse, elle-même citant  au passage Jacques Hochmann, Piera Aulagnier, Balint, Bion, Didier Anzieu, René Kaës, Serge Tisseron, Ophélia Avron, ces auteurs praticiens qui nous ont ouvert la voie de la psychothérapie psychanalytique de l’enfant psychotique en institution.

Dans cet éventail des pratiques, elle n’oublie pas de présenter rapidement le travail avec les partenaires, écoles, PMI, pédiatres, … et d’insister sur un aspect crucial : pour que ces pratiques soient thérapeutiques, les professionnels doivent être formés en continu et supervisés. Son Secteur, privilégié en cela, a pu bénéficier de l’aide précieuse de Didier Anzieu « dont les compétences dans l’approche et la résolution des problématiques institutionnelles, groupes et familiales étaient à leur zénith.» Il a pu initier la formation des soignants par le psychodrame psychanalytique. Se former en groupe, superviser les équipes en groupe, constituer des groupes de travail avec lectures et analyse de textes sur la clinique et la théorie pédopsychiatrique et psychanalytique, mettre en place des « reprises » journalières, constituent ainsi un contenant pour détoxiquer et élaborer les contenus psychiques intolérables projetés sur les soignants. Ces initiatives ont été à l’origine du premier travail en réseau et de la création de l’ARPPE ou Association pour la Recherche en Psychiatrie et Psychanalyse de l’Enfant, inspiré là encore par le travail de Didier Anzieu.

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(...) Et Anastasia Nakov conclut sur la question : « Comment transmettre ? » « Que reste-t-il de la fierté de chacun d’avoir été membre d’une équipe aussi dynamique et créative ? (…) Que reste-t-il de la joie de travailler, de la satisfaction d’apprendre, du plaisir de transmettre et de la construction des bases narcissiques de chacun grâce à ce surcroît de richesses émotionnelles et intellectuelles ? »

Une grande question. 

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Mais il en est une autre : que transmettre précisément à notre époque où la pensée régresse, où les prescriptions médicamenteuses s’envolent, où le DSM avec son catalogue toujours plus grand de troubles attaquables par les psychotropes a pris le pas sur la sémiologie psychopathologique qui montrait pourtant si bien dans chaque forme que prenait la souffrance psychique ses racines dans la vie relationnelle de chacun où pouvait parvenir le soin ?

Que la vie psychique existe toujours, que ses aléas se comprennent dans l’intrication du neurophysiologique et du relationnel. Que les neurosciences, loin d’en décrire la fin, en font comprendre les soubassements neurophysiologiques et amènent à conforter des acquis de la psychanalyse et à en infléchir d’autres, menant, il faut l’espérer à une sorte de neuropsychanalyse (B. Golse) qui en intègrerait les données et pourrait enfin ouvrir à des pratiques complémentaires et articulées neurocognitives et psychodynamiques.

Et enfin qu’il n’est rien de savoir reconnaître un ensemble de critères pour diagnostiquer un syndrome et si elle existe trouver la chimiothérapie adaptée, que la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent comme celle de l’adulte ne commence que lorsque le soin est proposé dans l’engagement du psychiatre et du psychothérapeute. Que le DSM n’est qu’un catalogue alors que la psychiatrie s’adresse à l’humain dans ses profondeurs sombres et souffrantes. Que le soulagement est possible mais ne s’atteint pas par une accumulation de psychotropes divers qui peuvent juste aider à colmater, mais par un long travail de démêlement des conflits dans les zones traumatiques de la psyché.

 

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » écrit le philosophe. L’éviction ou l’oubli de l’humain n’est-il pas la ruine de la psychiatrie ?

 

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