Apport de la Psychanalyse aux Autismes et aux Psychoses de l'Enfance.

 

Dr Brigitte Algranti Fildier et Dr Vincent Perdigon

 

 

En 1992, nous avions été sollicités pour donner aux « élèves infirmiers » d’alors un cours de 3ème année intitulé : « Apport de la Psychanalyse dans l’abord des Autismes et Psychoses de l’Enfance. »

 

A l’heure actuelle, peut-être devrions-nous les intituler : « Apport de la Psychanalyse dans l’abord des Troubles Envahissants du Développement de l’Enfance » (Je me refuse d’y substituer encore le nouveau terme de T.S.A., troubles du Spectre Autistique, bien trop impropre et confusionnant en mêlant dans une seule catégorie des réalités très différentes.)

 

En dehors de cette question, ces « cours » me semblent permettre de saisir la pensée des précurseurs et des pionniers de la pédopsychiatrie au temps où elle était principalement d’essence psychodynamique. Et, au-delà de l’approche de ces psychopathologies, il me semble aussi constituer une bonne introduction à la pensée et aux théories psychanalytiques. Ils sont adaptés à tous les professionnels de l’enfance intéressés par ces questions.

 

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Nous allons donc présenter ici notre apport sur les auteurs qui ont guidé nos pas en psychanalyse et plus précisément sur ceux dont les travaux nous ont introduit à la compréhension des psychopathologies les plus graves de l’enfance. Ils restent des références particulièrement utiles même si nous devrions y ajouter des auteurs plus récents. Une autre fois peut-être.

 

Je remercie le Dr Vincent Perdigon de m’avoir autorisée à exposer ici son travail. Et Mme Yveline Somers d’avoir transcrit et mis en page ce texte abondant.

 

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SOMMAIRE

 

SOMMAIRE

 

 

I. Introduction. B. Algranti Fildier et Vincent Perdigon.

 

Présentation de l’ensemble des cours ; présentation de la démarche psychanalytique et de l’apport de la psychanalyse, historique rapide de la pensée psychanalytique à travers les principaux auteurs …).

Tableau des auteurs.

 

II. Sigmund FREUD. Notions freudiennes nécessaires à la compréhension des psychoses et des recherches ultérieures dans ce domaine. Dr B. Algranti Fildier et Dr V. Perdigon.

 

Mécanisme de défense en œuvre dans les psychoses, projection, déni, clivage, le narcissisme primaire et le narcissisme secondaire, les débuts de la vie psychique, le principe de plaisir et le principe de réalité, les processus primaires et les processus secondaires, pare-excitations et traumatisme).

 

III. Mélanie KLEIN. Dr B. Algranti Fildier

 

Position schizoparanoïde et Position dépressive, Réparation, Etat maniaque, Clivage de l’Objet, Identification projective et Identification introjective…

 

IV. Margareth MALHER. Dr B. Algranti Fildier

 

Psychoses autistiques et Psychoses symbiotiques ….

 

V. D. W. WINNICOTT. Dr V. Perdigon

 

Préoccupation maternelle primaire, Holding, Objets et les Phénomènes Transitionnels, Jeu et Réalité, Self…

 

VI. Auteurs post kleiniens quelques notions. Dr B. Algranti Fildier

MELTZER, BION, BICK, ROSENFELD, SEGAL…

 

Reprise des notions développées dans les deux premiers cours à la lumière des conceptions psychanalytiques plus récentes ; Illustrations cliniques ; Développement du concept d’identification projective ; Angoisse du huitième mois ; Jeu de la bobine ; Traumatisme et Souffrance Psychique.

 

VII. F. TUSTIN, D. MELTZER sur l’autisme. Dr V. Perdigon

 

Fonction Alpha et la Fonction Beta; Angoisses autistiques et psychotiques …  

 

VIII. Compléments sur les psychoses. S. FREUD, D. WINNICOTT, F. PASCHE. Dr V. Perdigon

 

IX. Le concept d’Enveloppe Psychique. Dr V. Perdigon

 

X. Pratique en Psychiatrie de Secteur Infanto-Juvénile. Dr V. Perdigon

INTRODUCTION

 

I. Introduction

 

Pour introduire cette série de cours, nous allons aborder certains aspects fondamentaux, indispensables à la compréhension de l’approche psychanalytique.

 

 

* Nous proposons ainsi d’évoquer :

 

- les caractéristiques de la démarche psychanalytique telle qu’elle a été conçue par S. FREUD. Ceci pour la différencier d’une démarche « médicale ».

 

- la place des recherches psychanalytiques dans la compréhension des psychoses de l’adulte puis de l’enfant.

 

- La transformation radicale de la pratique psychiatrique avec l’apport de la psychanalyse.

 

- La place de la psychanalyse dans le champ pluridisciplinaire des recherches sur l’autisme et les psychoses de l’enfant.

 

 

* Ensuite, nous centrant sur l’apport de la psychanalyse à la conception de l’autisme et des psychoses de l’enfant et sur ses corollaires thérapeutiques, nous expliciterons les raisons de la perspective que nous avons choisie pour présenter cet apport : la perspective historique.

 

 

* Nous présenterons, pour que les repères soient le plus clair possible, un survol des différentes recherches et théories psychanalytiques avec les auteurs principaux dont nous expliciterons la pensée.

 

Nous verrons les apports de S. FREUD, Mélanie KLEIN, Margareth MALHER, D. WINNICOTT, D. W. BION, D. MELTZER, Frances TUSTIN.

Puis nous considérerons les apports de ces auteurs à la lumière des conceptions plus récentes.

Des illustrations cliniques et des parenthèses sur notre pratique seront données soit au cours de l’énoncé théorique, soit dans les derniers cours, soit à chaque moment utile. Nous expliquerons également pourquoi nous avons choisi ces auteurs en en excluant quelques autres (LACAN, Anna FREUD …). Nous avons opéré un certain choix que nous justifierons.

 

 

* Nous aborderons ensuite des notions freudiennes fondamentales pour la compréhension de toutes les théories suivantes concernant les psychoses à savoir :

 

- les mécanismes de défense en œuvre dans les psychoses mis en évidence par FREUD : projection, déni, clivage ;

 

- le narcissisme primaire et secondaire ;

 

- le principe de plaisir et le principe de réalité, les processus primaires et les processus secondaires et donc la genèse de la pensée et du fonctionnement mental, les débuts de la vie psychique. Ces notions étant fondamentales pour la compréhension des vicissitudes de la pensée chez l’enfant psychotique.

 

- les processus d’identification : l’introjection et la projection.

 

- Les notions de pare-excitations et de traumatisme.

 

- Un rappel concernant la notion d’objet.

 

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Dr B. Algranti Fildier

 

Il est important de comprendre en tout premier lieu l’essence de la pensée psychanalytique.

 

La psychanalyse est une discipline fondée par S. FREUD qui comporte plusieurs niveaux :

- C’est une méthode d’investigation, de recherche et une méthode psychothérapique qui tend à mettre en évidence les mécanismes intra-psychiques, inconscients déterminant les comportements, les paroles, les rêves, les fantasmes …. Chez l’adulte, cette méthode d’investigation et de thérapie est basée sur les associations libres et sur l’interprétation.

 

- C’est aussi un ensemble de théories qui systématisent les données des recherches et des psychothérapies, qui les organisent au fil du temps, de façon lente, progressive, en rapport permanent avec la pratique.

 

Freud a ouvert des voies et tracé des axes, il a mis au point la technique psychanalytique appliquée aux adultes. A partir de cette technique, il a fait des découvertes qu’il a organisées en théories jamais définitives toujours ouvertes aux découvertes ultérieures.

 

Mélanie Klein en particulier a mis au point une technique psychanalytique par le jeu chez les enfants, équivalant aux associations libres chez les adultes.

 

D’autres psychanalystes comme Anna Freud, Margareth Malher, en particulier, ont ouvert d’autres champs et imaginé d’autres méthodes d’approches des enfants psychotiques, méthodes d’inspiration psychanalytique qui, après l’apport de bien d’autres psychanalystes, ont débouché peu à peu sur des pratiques comme la nôtre dont nous apporterons quelques aspects.

 

Chacun des auteurs que nous allons citer ont apporté leur théorisation après des dizaines d’années d’étude des auteurs précédents et de pratique analytique personnelle. Il ne s’agit pas de données acquises une fois pour toutes. La démarche et l’expérience des auteurs précédents décrits dans leurs articles et ouvrages sont toujours nécessaires. Chaque auteur apporte ses propres réflexions issues de sa pratique et confrontées à la pratique de ses contemporains. C’est ainsi que peu à peu certaines théories initiales ont été révisées, admises ou réfutées et que, bien entendu, se sont créés également différentes courants et écoles psychanalytiques…

 

Du fait de ces caractéristiques, la psychanalyse avec ses différentes facettes, en mettant l’accent sur le sujet et sur la dimension intrapsychique, a ouvert des domaines inexplorés et a entraîné un bouleversement total mais en même temps très lent de la pratique psychiatrique. La psychiatrie était fondée sur une démarche médicale : diagnostic et traitement. Cette démarche médicale n’a pas totalement disparu mais cet accent mis par la psychanalyse sur le sujet et la dimension intrapsychique, sur les motivations inconscientes et les processus défensifs entre autres, a modifié et modifie encore l’approche psychiatrique des pathologies mentales. Nous en sommes venus ainsi à une approche reconnaissant l’homme malade comme un sujet à part entière dont la maladie recouvre des sens à explorer. Chez l’enfant, il faut prendre en compte d’autres dimensions encore. Il y a eu les découvertes psychanalytiques chez l’adulte puis l’œuvre, dans le domaine de l’enfance, des pionniers comme Mélanie Klein, Anna Freud, Margareth Malher, Kanner, puis Winnicott et plus tard encore Bion, Meltzer, Tustin, Bick et beaucoup d’autres jusqu’aux auteurs les plus récents. (Mais il y a eu également l’influence des recherches pédagogiques, cognitives et neuroscientifiques, l’impact des associations de parents et le développement de la pédiatrie…).

 

Nous verrons qu’au début des travaux de ces psychanalystes n’était même pas reconnue l’existence des pathologies mentales chez l’enfant. Seules les arriérations étaient admises. C’est pour faire saisir cette évolution progressive et très lente – puisqu’elle commence à la fin du 19ème siècle avec Freud jusqu’à nos jours et n’est pas encore terminée - que nous avons choisi de présenter ces cours sous la perspective historique.

 

Chez l’enfant, le développement de la prévention, du dépistage et des soins de plus en plus précoces selon des formules de plus en plus souples et diversifiées permet, entre autres, d’éviter le recours au traitement médicamenteux. Nous parlons maintenant d’accueil thérapeutique, conditions indispensable de tout soin. C’est dire combien la dimension relationnelle a pris une place prépondérante, en tout cas dans notre pratique où l’écoute et le regard psychanalytiques est le centre de toute notre approche. Il existe d’autres approches et nous devons les citer pour situer la place de la psychanalyse dans une conception beaucoup plus globale pluridisciplinaire. Pour cela, il est inévitable de faire un détour par les conceptions étiologiques.

 

Se centrer sur l’approche psychanalytique n’implique pas nécessairement l’exclusion d’autres ordres de recherches, y compris les recherches étiologiques dans le domaine biologique. Nous pouvons ici citer dans quels sens s’orientent ces recherches biologiques. Elles comportent : - des recherches sur des facteurs génétiques à l’origine de l’autisme et de l’évolution psychotique ; - des recherches neurochimiques avec l’exploration des systèmes des neuromédiateurs ; - des recherches d’ordre neurophysiologique et neuroscientifiques.

 

Au fil du temps, les divergences, les querelles entre les partisans de l’organogenèse et ceux de la psychogenèse commencent à être dépassées par l’idée qu’aux débuts de la vie le soma et psyché sont peu différenciés et influent profondément l’un sur l’autre. Nous aborderons à plusieurs reprises cette discussion à partir des hypothèses étiologiques avancées par les auteurs que nous allons présenter. Nous pourrons éventuellement la reprendre dans les derniers cours en évoquant les diverses hypothèses étiopathogéniques, vraisemblablement plurifactorielles et en interactions réciproques. Nous pouvons cependant dire dès maintenant que ces hypothèses étiologiques ont d’importantes répercussions sur l’élaboration des méthodes thérapeutiques.

 

L’approche psychanalytique, comme nous l’avons vu, privilégie le sujet et son fonctionnement intrapsychique alors que d’autres approches débouchent sur des traitements cognitivo-comportementalistes. Dans les soins que nous organisons, même si la dimension psychanalytique représente le centre fondamental, nous prenons également en compte les aspects éducatifs et pédagogiques dans une approche pluridisciplinaire. Notre position est la suivante : devant un enfant autiste ou psychotique, quelles que soient les anomalies biologiques existantes le plus souvent encore inconnues, l’approche psychanalytique avec ses différents aspects nous permet de percevoir un tant soit peu, en nous impliquant personnellement, les mécanismes intra-psychiques en œuvre dans sa relation au monde extérieur. Elle nous permet alors de concevoir, pour chaque enfant à l’intérieur d’un cadre que nous avons préétabli – il faut insister sur l’importance de la notion de cadre en psychanalyse - un projet thérapeutique individualisé où l’enfant évolue.

 

Nous allons donc voir, de façon très résumée et la plus claire possible, dans une perspective historique, l’apport d’un certain nombre d’auteurs. Nous avons choisi ceux qui nous semblent avoir apporté les éléments fondamentaux utiles à notre pratique de soins auprès des enfants autistes et psychotiques que nous recevons. Nous en avons donc exclu d’autres. C’est un choix. Rappelons juste encore une fois que la pensée psychanalytique est en mouvance et essaie de refuser les dogmes, qu’elle se différencie nettement d’une pensée médicale traditionnelle.

 

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Dr Vincent Perdigon

 

Nous avons choisi d’aborder ce sujet difficile en présentant les apports théoriques principaux de différents psychanalystes. Pour ma part, j’introduirai tout d’abord les apports de Winnicott. Pourtant, il faut garder à l’esprit la différence – qu’il n’est pas facile de faire saisir - entre la psychiatrie et la psychanalyse.

 

Il est difficile de parler de la psychanalyse. Est-ce que cela s’enseigne ? Est-ce une science ? Présenter la théorie psychanalytique contient le danger de faire passer pour vérités objectives, scientifiques, des concepts théoriques, concepts forgés peu à peu par la pratique, qui tentent de rendre compte de phénomènes difficiles à saisir : les règles du fonctionnement mental, lequel n’est pas visible et, par exemple, le concept de pulsion.

 

Le rapport que chacun de nous établit avec la théorie est une vraie question qui infiltre en permanence notre travail. Quel rôle fait-on jouer à la théorie ? Toute théorie n’est jamais qu’une hypothèse valable seulement à un moment donné du développement des connaissances et de la recherche. Il faut se référer : - à la remise en cause permanente de Freud. - à la position de « recherche », c’est-à-dire l’abandon de la position de savoir : être prêts à ce que nos repères théoriques soient remis en cause par l’observation des faits. (La position inverse serait de chercher dans les faits observés à donner raison à la théorie. On est content, tout est bien en place …). C’est une position d’humilité. Cf Frances TUSTIN et l’autisme « Se placer soi-même en position intérieure de recherche permanente avec l’enfant, c’est-à-dire l’observer lui tout en s’observant soi-même dans ses propres réactions à l’enfant » (le contre-transfert).

 

La psychanalyse n’échappe pas toujours au dogme. C’est un intérêt, à mon sens, du travail avec des enfants très malades, très difficiles à comprendre, très difficiles de contact : quand nous n’arrivons pas à entrer en relation, cela oblige à travailler sur nous-mêmes et là, la théorie plaquée ne suffit pas.

 

Nous présentons différents auteurs mais faisons une impasse de taille : LACAN. Nous pouvons pourtant retenir de l’œuvre de Lacan : le stade du miroir ; les notions de sujet (divisé) et de fonction paternelle.

 

Les "psychoses infantiles" sont d’individualisation récente. Pendant longtemps, elles n’étaient considérées que du point de vue de la pathologie de l’adulte : par exemple la schizophrénie de l’enfant était vue comme une démence précocissime. Les psychoses n’existaient pas chez l’enfant, elles étaient confondues avec l’arriération. Longtemps, on n’a « compris » ce qu’aujourd’hui nous appelons psychose de l’enfant que sous le signe du déficit, de la déficience intellectuelle.

 

A côté des psychiatres se trouvaient les pédagogues. J. Itard, en 1800 avait réalisé la description d’un enfant sauvage en Aveyron et avait organisé une tentative de « guérison » à partir de principes éducatifs (cf. le film de F. Truffaut). Il faut en fait attendre 1943 et la première description – et affirmation - par Kanner, psychiatre de 11 cas de psychoses infantiles précoces (8 garçons et 3 filles), pour que commence à naître l’idée que la psychose peut exister chez l’enfant, c’est-à-dire se manifester très tôt, et évidemment avoir des effets – secondairement - sur le développement intellectuel.

 

Kanner décrit ce qu’il va appeler Autisme Infantile Précoce (autisme, contraction de auto-érotisme) à savoir :

 

- un repli extrême sur soi-même qui conduit à n’établir aucune relation,

 

- l’aménagement par l’enfant de son monde familier, de son espace quotidien, dominé par le besoin de maintenir des repères immuables,

 

- l’absence de langage (ou un langage très sommaire),

 

- de bonnes capacités cognitives perceptives et de mémorisation.

 

Kanner remarque donc que ces enfants ont en fait de bonnes capacités intellectuelles. Il repère l’extrême précocité des troubles. Enfin, il porte attention à la personnalité des parents et remarque « un manque de chaleur affective et souvent des traits obsessionnels marqués ». (Ce qui compte là c’est de le voir considérer l’enfant pas non isolé comme objet d’étude, mais étudié dans son environnement relationnel).

 

Les psychoses infantiles sont un sujet difficile. On s’en aperçoit vite sur le plan des études et classifications des différentes psychoses de l’enfant décrites depuis :

 

- autisme infantile précoce (Kanner)

 

- psychoses symbiotiques (Malher) - psychoses affectives (Harms)

 

- psychoses à expression déficitaire (Misès)

 

Et des états frontières de la psychose :

 

- psychoses atypiques - états limites

- prépsychoses

- parapsychoses

- dysharmonies évolutives.

 

Existe ensuite une classification selon l’âge, l’association ou non de facteurs biologiques, les formes complètes, les formes résiduelles, etc … Tout cela seulement pour montrer que toutes les tentatives de classification se heurtent à un grand nombre de tableaux cliniques différents ce qui renvoie avant tout au fait que l’enfant est un être en développement et que de nombreux paramètres interviennent :

- le diagnostic précoce ou tardif,

- les facteurs sociaux et familiaux

- les facteurs organiques, - les soins entrepris ou non,

- les aides éducatives et pédagogiques…

 

C’est un sujet difficile car il s’agit de re-cerner le terme de psychose – d’y revenir – dans son application à l’enfant. Le terme de psychose correspond dans le vocabulaire psychiatrique traditionnel à un trouble massif du sens de la réalité. Ce qui renvoie à la question : comment acquiert-on, de façon normale, le sens de la réalité ? A ce niveau, la psychanalyse répond que le sens de la réalité ne s’appréhende pas seulement à partir des capacités intellectuelles de l’individu, mais dépend tout autant de l’organisation de sa personnalité.

TABLEAU des AUTEURS

B. Algranti Fildier

 

Voici un TABLEAU des principaux auteurs que nous allons largement citer.

 

Nous aborderons ensuite les notions freudiennes indispensables à la compréhension de tout ce qui va suivre.

 

 

S. FREUD Travaux1888 …1939

 

A. FREUD Travaux 1922…1981             M. KLEIN  Travaux 1921…1975

 

M. MALHER Travaux 1930..1968           D. W. WINNICOTT  Travaux 1941..1989

 

D.W. BION Travaux 1959…1979

 

D. MELTZER Travaux 1966…1988           F. TUSTIN Travaux 1972…1990

 

 

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NOTIONS FREUDIENNES

 

II. Notions freudiennes.

 

S. FREUD, NEVROSE ET PSYCHOSE, 1924 GW, XIII

(Névrose, Psychose et Perversion. P.U.P 1973)

 

 

La névrose serait le résultat d’un conflit entre le moi et son ça.

La psychose, elle, serait le résultat d’un conflit entre le moi et le monde extérieur.

 

Il y aurait donc, dans la psychose, rupture entre le moi et le monde extérieur.

 

Le moi se crée un nouveau monde extérieur et intérieur à la fois (perceptions actuelles et capital mnésique des perceptions antérieures). Ce nouveau monde est bâti selon les désirs du ça, et le motif de cette rupture avec le monde extérieur est que la réalité s’est refusée au désir d’une façon grave et apparue comme intolérable.

 

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Les Topiques.

Le Moi.

L’objet.

Le Narcissisme. Psychose et Narcissisme.

Le principe de plaisir et le principe de réalité.

Les processus primaires et les processus secondaires.

Le pare-excitation.

Le traumatisme.

Les mécanismes de défense. La projection, le déni et le clivage.

 

 

Les théories de l’appareil psychique selon la première et la deuxième topique.

 

S. FREUD a décrit l’appareil psychique selon deux topiques, c’est-à-dire selon deux modèles topographiques (métaphoriques) :

 

La première topique, dans les années 1900, décrivait le fonctionnement psychique selon trois systèmes : le conscient, le préconscient et l’inconscient.

 

La seconde topique, dans les années 1920, le décrivait selon trois instances : le Ca, le Moi et le Surmoi.

 

Il s’agit de deux modèles théoriques de l’appareil psychique.

 

Le fonctionnement de l’appareil psychique, en psychanalyse, est décrit selon trois points de vue complémentaires : le point de vue topique, le point de vue économique et le point de vue dynamique.

 

Le point de vue topique décrit de façon métaphorique la localisation des processus considérés selon les différents systèmes inconscient, préconscient, conscient ou selon les différentes instances Ca, Moi, Surmoi ;

 

Le point de vue économique décrit le mouvement (la circulation) et la répartition de l’énergie pulsionnelle qui varie dans son intensité entre les différents systèmes ou instances.

 

Le point de vue dynamique décrit le conflit des systèmes et des instances les uns par rapport aux autres).

 

 

Le Moi.

 

Le Moi est l’instance psychique centrale (de la personnalité) selon la deuxième topique freudienne.

 

Selon Freud, de façon progressive au cours premier développement, les trois instances Ca, Moi et surmoi se différencient dans l’appareil psychique de l’enfant pour aboutir, dès la phase de latence, à trois instances stables : le Ca regroupant les pulsions qui tendent à atteindre leur but, le Surmoi représentant l’intériorisation des interdits parentaux, intériorisation qui résulte de l’élaboration du conflit œdipien.

 

Le Moi représente entre autre (d’un point de vue dynamique) l’instance psychique qui met en œuvre des mécanismes de défense contre les émergences pulsionnelles inacceptables et suscitant l’angoisse.

 

Du point de vue topique, le Moi est dans une relation de dépendance vis-à-vis d’une part des revendications du Ca, d’autre part des impératifs du Surmoi et des exigences de la réalité.

 

 

L’Objet

 

Les différents emplois du terme "Objet" dans les écrits psychanalytiques (choix d’objet, amour d’objet, relation d’objet …) trouvent leur origine dans la conception freudienne de la pulsion. Il est ce en quoi et par quoi la pulsion cherche à atteindre son but, à savoir un certain type de satisfaction. Il peut s’agir d’une personne, d’un objet partiel, d’un objet réel ou d’un objet fantasmatique.

 

La notion d’objet en psychanalyse n’est pas seulement à entendre en référence à la pulsion. Elle désigne aussi ce qui est pour le sujet objet d’attirance, objet d’amour, le plus généralement une personne.

 

 

Le Narcissisme. L’auto-érotisme et le narcissismeSelon Freud.

 

Le Narcissisme.

 

Il s’agit d’une notion introduite en référence au mythe de Narcisse, amoureux de sa propre image.

 

Le terme de narcissisme apparaît chez Freud en 1910 pour rendre compte du choix d’objet chez les homosexuels. La découverte du narcissisme le conduit à poser, dans le cas Schreber, en 1911, l’existence d’un stade de l’évolution sexuelle intermédiaire entre l’auto-érotisme et l’amour d’objet. « Le sujet commence par se rendre lui-même, son propre corps, comme objet d’amour, ce qui permet une première unification des pulsions sexuelles ».

 

L’auto-érotisme correspond à la satisfaction d’une pulsion partielle, en recourant au corps propre (par exemple, le suçotement du pouce, satisfaction de la pulsion orale …)

 

« Dans le narcissisme, c’est le moi comme image unifiée du corps qui est l’objet de la libido narcissique, et l’auto-érotisme se définit, par opposition, comme le stade anarchique précédant cette convergence des pulsions partielles sur un objet commun. ».

« Il est nécessaire d’admettre qu’il n’existe pas dès le début dans l’individu, une unité comparable au moi ; le moi doit subir un développement. Mais les pulsions auto-érotiques existent dès l’origine : quelque chose, une nouvelle action psychique, doit donc venir s’ajouter à l’auto-érotisme pour donner le narcissisme ». (Pour Introduire le Narcissisme, Freud 1914)

Dans cet ouvrage, il introduit ce concept dans l’ensemble de la théorie psychanalytique en envisageant particulièrement les investissements libidinaux.

 

La psychose, nommée aussi « névrose narcissique » met en évidence la possibilité pour la libido de réinvestir le moi en désinvestissant l’objet.

 

Par référence à une sorte de principe de conversation de l’énergie libidinale, Freud établit une balance entre la libido du moi (investie dans le moi) et la libido d’objet : « Plus l’une absorbe, plus l’autre s’appauvrit ». Le narcissisme, ici, n’apparaît plus comme un stade évolutif mais comme une stase de la libido qu’aucun investissement d’objet ne permet de dépasser complètement.

 

(Cette contradiction est dépassée avec en particulier l’apport de Winnicott qui considère le nourrisson comme immergé dans la dyade mère-enfant. La libido narcissique ne peut alors plus être considérée, au stade de la symbiose, comme coupée de la libido objectale même si l’objet n’est pas perçu dans sa totalité).  

 

 

Narcissisme primaire et narcissisme secondaire

 

Le narcissisme primaire caractériserait un état précoce où l’enfant investit toute sa libido sur lui-même (l’objet n’étant pas perçu).

 

Le narcissisme secondaire désigne un retournement sur le moi de la libido, retirée de ses investissements objectaux.

 

Chez Freud, le narcissisme primaire désigne d’une façon générale le premier narcissisme, celui de l’enfant qui se prend lui-même comme objet d’amour avant de choisir des objets extérieurs. Un tel état correspond chez l’enfant à la croyance de la toute-puissance de ses pensées.

 

A la lumière des travaux psychanalytiques des auteurs post-freudiens, le narcissisme primaire peut se comprendre comme l’investissement du corps propre du sujet dans l’état primaire où ce corps n’est pas différencié ou commence seulement à l’être du corps de la mère et de l’environnement proche. Ce serait un état où l’enfant n’a pas conscience de l’objet dans sa réalité et investit les satisfactions apportées autant par le corps propre que par la mère sans les différencier. Le narcissisme secondaire serait, par opposition, un retournement de la libido sur le moi alors que l’objet est perçu en totalité ou encore seulement partiellement.

  

Psychose et Narcissisme

 

S. Freud, à partir du moment où il distinguera le narcissisme primaire et le narcissisme secondaire, considèrera que l’on peut parler de régression au stade narcissique primaire dans le sommeil, dans certaines formes d’homosexualité masculine et dans les maladies mentales du type de la schizophrénie et des pathologies psychotiques.

 

 

Principe de Plaisir et Principe de Réalité. Processus Primaires et Processus Secondaires.

 

Nous allons définir rapidement le principe de plaisir pour le reprendre ensuite dans son articulation avec le principe de réalité, afin de résumer la façon dont Freud considère le développement du fonctionnement psychique chez l’enfant.

 

Il est important de définir, dans une étude sur les psychoses de l’enfant, ces deux principes qui régissent selon Freud le fonctionnement psychique. Dans le processus psychotique de l’enfant, l’enfant chercherait à fonctionner fréquemment selon de principe de plaisir, sans que la réalité - qui n’est pas perçue, ou rejetée, ou niée - ne vienne y apporter ses modifications. Le principe de réalité ne peut établir son primat de la façon que nous allons décrire.

 

(Selon cette conception, la psychose de l’enfant représente un processus défensif contre l’irruption, dans le psychisme, d’angoisses terrifiantes, inimaginables. La réalité, susceptible de réactiver ces angoisses serait alors repoussée tandis que la vie fantasmatique reconstruit de nouveaux rapports au monde extérieur.)

 

Le Principe de Plaisir est l’un des deux principes qui régissent, selon Freud, le fonctionnement mental : l’ensemble de l’activité psychique a pour but d’éviter le déplaisir et de procurer le plaisir, le déplaisir étant lié à l’excès d’excitations et le plaisir à leur réduction.

L’appareil psychique est donc réglé par l’évitement ou l’évacuation de la tension déplaisante.

 

La notion de principe de plaisir intervient principalement, dans la théorie psychanalytique, dans con couplage avec celle du principe de réalité. Les pulsions ne chercheraient d’abord qu’à se décharger, à se satisfaire par les voies les plus courtes. Elles feraient progressivement l’apprentissage de la réalité qui seule permet, à travers les détours et les ajournements nécessaires, d’atteindre la satisfaction recherchée.

 

Le Principe de Réalité forme couple avec le principe de plaisir et le modifie : dans la mesure où le principe de réalité parvient à s’imposer comme principe régulateur, la recherche de la satisfaction ne s’effectue plus par les voies les plus courtes, mais elle emprunte des détours et ajourne son résultat en fonction des conditions imposées par le monde extérieur.

 

Le principe de réalité correspond, d’un point de vue économique, à une transformation de l’énergie libre (telle celle qui circule dans l’inconscient) en énergie liée. Il caractérise essentiellement dans une perspective topique le système préconscient-conscient.

 

Dans le fonctionnement mental, les processus primaires correspondent au primat du principe de plaisir et au fonctionnement inconscient, les processus secondaires correspondant au primat du principe de réalité et au fonctionnement préconscient-conscient.

 

L’enfant psychotique a peu accès à ce principe de réalité qui doit intervenir progressivement. Il fonctionne le plus souvent, dans le registre primaire du fonctionnement mental.

 

Dans le texte : « Formulations sur les deux Principes du Fonctionnement Mental », en 1911, le principe de réalité est mis en relation, dans une perspective génétique (c’est-à-dire celle de la formation du Moi) avec le principe de plaisir auquel il succède.

 

Selon Freud, à l’orée de la vie, on pourrait dire que l’organisme tend à ne satisfaire que des besoins internes ; il est soumis au principe de plaisir. Mais il ne peut provoquer l’action spécifique capable de supprimer la tension qui résulte de l’afflux des excitations endogènes (la faim par exemple) ; cette action nécessite l’aide d’une personne extérieure ; lorsque cette aide arrive, l’organisme peut supprimer la tension.

 

Au-delà de cette expérience actuelle, l’expérience de satisfaction entraîne plusieurs conséquences : la satisfaction est désormais liée à l’image de l’objet qui a procuré la satisfaction ainsi qu’à l’image motrice du mouvement réflexe qui a permis la décharge (la succion par exemple). Quand apparaît à nouveau l’état de tension, l’image de l’objet est réinvestie : cette réactivation, le désir, produit d’abord quelque chose d’analogue à la perception, c’est-à-dire une hallucination. Si l’arc réflexe se déclenche alors (par exemple la succion du pouce, ou la succion à vide) la déception ne manquera pas de se produire.

 

L’ensemble de cette expérience – satisfaction réelle et satisfaction hallucinatoire - constitue le fondement du désir. Le désir trouve en effet son origine dans la recherche d’une satisfaction réelle, mais se constitue sur le modèle de l’hallucination primitive qui est ainsi la première ébauche du fonctionnement mental.

 

L’enfant se trouve là dans l’état de narcissisme primaire. C’est la satisfaction du besoin interne qui est investie alors que l’objet ne l’est pas encore.

 

Cette tentative de se satisfaire au moyen de l’hallucination n’est abandonnée que parce que la gratification attendue ne vient pas. L’appareil mental doit alors se décider à se représenter les circonstances réelles régnant dans le monde extérieur et tenter de les modifier. Ainsi est introduit le principe de réalité : ne plus se représenter ce qui est plaisant mais ce qui est réel même si cette réalité est déplaisante. Ainsi est introduit le système secondaire qui fonctionne sous le primat du principe de réalité qui est lui-même un dérivé du principe de plaisir.

 

Se développe alors la pensée comme caractéristique des processus secondaires et du principe de réalité.

De même, la décharge motrice qui, antérieurement, pouvait servir à décharger l’appareil mental des accroissements de stimuli désagréables doit devenir action et tenter de modifier la réalité extérieure.

La dépendance joue un rôle capital dans ce processus qui amène l’enfant à renoncer à la mégalomanie de l’investissement narcissique primaire pour apprendre à investir l’objet. Les pulsions s’organisent alors sous les formes secondaires d’élaboration du Moi.

La pensée, comme caractéristique des processus secondaires et du principe de réalité, se développe à partir de la représentation avec introduction de l’activité fantasmatique, partie de la pensée qui reste soumise au seul principe de plaisir. Si l’enfant accorde par lui-même et assez tôt la réalité et le principe de plaisir, il s’établit un compromis entre le sentiment de toute-puissance et la pensée. L’appartenance des fantasmes au principe de plaisir est reconnue, et le principe de réalité règne sur la sphère de la pensée et des faits établis.

 

Ce processus est gravement perturbé dans le cas des psychoses précoces. Dans certains états psychotiques ou limites, il peut y avoir rupture, à certains moments, vraisemblablement sous l’influence d’angoisses violentes – traumatiques -, des processus secondaires de pensée avec invasion, dans le fonctionnement mental, de fantasmes qui déstructurent la pensée et entraînent une régression vers les processus primaires. Dans certains états psychotiques également, la décharge motrice tente de réduire l’état de tension et de défendre le sujet contre l’activité fantasmatique angoissante.

 

 

Les processus primaires et les processus secondaires peuvent être radicalement distingués à partir du moment où le principe de réalité a établi sa primauté.

 

Le processus primaire caractérise le système inconscient, le processus secondaire caractérise le système préconscient-conscient. (Point de vue topique).

 

Dans le cas du processus primaire, l’énergie psychique s’écoule librement, passant sans entrave d’une représentation à une autre selon les mécanismes de déplacement et de condensation (comme dans le rêve et dans la vie fantasmatique).

 

Dans le cas du processus secondaire, l’énergie psychique est d’abord liée avant de s’écouler de façon contrôlée ; les représentations sont investies d’une façon plus stable, la satisfaction est ajournée, permettant ainsi des expériences mentales qui mettent à l’épreuve les différentes voies de satisfaction possibles (point de vue économico-dynamique).

 

Dans le mécanisme de défense nommé déplacement une représentation d’apparence insignifiante peut se voir attribuer toute la valeur psychique, la signification, l’intensité originellement attribuées à une autre.

 

Dans le mécanisme nommé "condensation", sur une représentation unique peuvent confluer toutes les significations portées par les chaînes associatives qui viennent s’y croiser.

 

Peuvent être décrites comme processus secondaires des fonctions classiquement décrites en psychologie comme la pensée vigile, l’attention, le jugement, le raisonnement, l’action contrôlée.

 

Le processus secondaire constitue une modification du processus primaire.

 

Dans les modes de défenses pathologiques, le Moi subit l’emprise des processus primaires.

 

Le fonctionnement mental de l’enfant psychotique est infiltré de processus primaires. Quand la pensée secondarisée existe (en particulier dans les états limites mais aussi dans certaines formes de psychoses de l’enfant sans atteinte intellectuelle), elle n’est pas stable, les fantasmes et les angoisses venant déstructurer la pensée. La différentiation entre la vie fantasmatique et la vie réelle ne se fait pas ou ne se fait plus à certains moments.

 

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Le pare-excitations et le traumatisme. Selon Freud

 

Nous avons vu que le nourrisson vivait une dépendance totale au début de sa vie. Il est soumis aux excitations internes et aux excitations provenant du monde extérieur.

 

La mère, si elle est source d’excitations, de plaisir et de déplaisir, a une fonction économique essentielle de pare-excitations corrélative de la constitution du Soi. Elle a un rôle fondamental en tant que pare-excitations.

 

Si la qualité de l’investissement maternel est suffisante, c’est l’introjection de la mère en tant que pare-excitations qui sert à la maîtrise des pulsions partielles. C’est une source de plaisir dans la maîtrise qui permet le dégagement progressif de la dépendance.

 

Freud (Introduction à la Psychanalyse, 1916) définit le traumatisme comme le débordement de l’appareil psychique par un excès d’excitation qui ne peut être maîtrisé et épuisé de façon normale.

 

« Le traumatisme est l’expérience d’absence de secours dans les parties du Moi qui doivent faire face à une accumulation d’excitations, qu’elles soient d’origine interne ou externe, et qu’il ne peut maîtriser ».

 

Dans « Au-delà du Principe de Plaisir » Freud s’appuie, pour donner une théorie du traumatisme, sur la représentation simplifiée d’une vésicule vivante. Celle-ci doit, pour subsister, s’entourer d’une couche protectrice qui devient une barrière dont la fonction est de protéger la vésicule des excitations extérieures incomparablement plus fortes que les énergies internes au système, tout en les laissant passer selon un rapport proportionnel à leur intensité de façon à ce que l’organisme reçoivent des informations du monde extérieur.

 

Dans cette perspective, le traumatisme peut être défini, dans son premier temps, comme une effraction, sur une large étendue, du pare-excitations. Au-dessous de cette couche protectrice s’en trouve une seconde, la couche réceptrice, définie comme système perception-conscience c’est-à-dire le Moi.

 

La protection contre les excitations externes est assurée par un investissement-désinvestissement périodique du système perception-conscience, et c’est donc le Moi qui a fonction de pare-excitations.

 

Il s’agit tant des excitations d’origine externe que des excitations d’origine pulsionnelle interne. Sur le plan physiologique, le pare-excitations est assimilée à la peau. Dans le domaine de la pathologie, si nous nous fondons sur ces notions introduites par Freud – ce qui sera décrit plus précisément par des auteurs post-freudiens - nous pouvons imaginer que, chez certains nourrissons, il peut y avoir, au tout début de leur vie, une accumulation de traumatismes dus, soit à une carence grave de la fonction de pare-excitations maternelle, soit à des anomalies du potentiel inné de l’enfant ou à des circonstances particulières de sa vie (accidents somatiques, hospitalisations …), soit à une combinaison de ces étiologies. Ces traumatismes activent alors chez l’enfant des processus défensifs stéréotypés et pathologiques entravant le développement normal du Moi.

 

 

Les mécanismes de défense en œuvre dans les psychoses. Projection, Déni, Clivage, Idéalisation…

 

Les mécanismes de défense sont des phénomènes psychiques mis en œuvre par le moi pour se défendre (contre l’angoisse, contre les irruptions pulsionnelles qui pourraient le déstructurer). Les mécanismes prévalents sont différents selon le type d’affection envisagée, selon l’étape génétique (étape du développement du Moi) considérée, selon l’élaboration du conflit défensif. On parle de mécanismes de défense du Moi mais la question reste ouverte de l’existence de mécanismes de défense dans les étapes précédant l’organisation du Moi.

 

Freud a mis en évidence un certain nombre de mécanismes de défense. Les psychanalystes qui lui ont succédé, en particulier Anna Freud et Mélanie Klein en ont isolé d’autres dont la liste n’est pas close.

 

(Anna Freud : refoulement, régression, formation réactionnelle, isolation, annulation rétroactive, projection, introjection, retournement sur soi, renversement dans le contraire, sublimation, négation par le fantasme, idéalisation, identification à l’agresseur … Anna Freud s’attachera à décrire la variété, la complexité, l’intérêt des mécanismes de défense, montrant notamment comment la visée défensive peut utiliser les activités les plus diverses (fantasmes, activité intellectuelle), comment la défense peut porter, non seulement sur des revendications pulsionnelles, mais sur tout ce qui peut susciter un développement d’angoisse : émotions, situations, exigences du Surmoi).)

 

(Mélanie Klein : clivage de l’objet, identification projective, déni de la réalité psychique, contrôle omnipotent de l’objet, défense maniaque …)

 

Les mécanismes de défense ont pour but la réduction urgente de la tension interne conformément au principe de plaisir-déplaisir.

 

Il faut comprendre que les mécanismes de défense, en eux-mêmes ne sont pas pathologiques, ils sont nécessaires et sont utilisées, en dehors de la pathologie mentale, de façon souple. Ils signent une pathologie mentale quand ils sont employés de façon massive et rigide. Nous le reverrons plus loin quand nous envisagerons les apports, en particulier, de Mélanie Klein.

 

La projection est l’opération par laquelle le sujet expulse de soi et localise dans l’autre, personne ou chose, des qualités, des sentiments, des désirs, voire des « objets » qu’il méconnaît ou refuse en lui.

 

Il s’agit d’une défense d’origine très archaïque et qu’on retrouve à l’œuvre particulièrement dans la paranoïa mais aussi dans des modes de pensée « normaux » comme la superstition.

(Exemple de projection : le raciste projette sur le groupe rejeté ses propres fautes et penchants inavoués).

 

La projection est d’abord découverte dans la paranoïa : le paranoïaque projette ses représentations intolérables, ses désirs inconscients qu’il ne peut reconnaître en lui, qui lui font retour du dehors sous forme de reproches.Le sujet peut se sentir persécuté par le regard de l’autre où il lit des reproches.

 

Il détourne ainsi son attention de son propre inconscient, la déplace sur l’inconscient d’autrui et peut y gagner autant de clairvoyance en ce qui concerne autrui que de méconnaissance en ce qui le concerne lui-même.

 

La projection sert surtout au psychotique à tenter de se débarrasser de son agressivité (ce n’est pas moi, c’est lui) et de ses tendances destructrices. L’inflation de la projection est proportionnelle à l’intensité des pulsions agressives et destructrices.

 

On retrouve, dans l’œuvre de Freud, des indications sur la métapsychologie de la projection : la projection apparaît comme le moyen de défense originaire contre les excitations internes que leur intensité rend trop déplaisantes (et contre lesquels il n’existe pas au début d’appareil protecteur ou pare-excitations) : le sujet projette celles-ci à l’extérieur ce qui lui permet de les fuir et de s’en protéger. Il existe alors une inclination à les traiter comme si elles n’agissaient pas de l’intérieur mais bien de l’extérieur pour pouvoir utiliser contre elles le moyen de défense du pare-excitations : c’est l’origine de la projection.

 

Freud fait jouer un rôle essentiel à la projection, couplée avec l’introjection, dans la genèse de l’opposition sujet (c’est-à-dire le Moi) objet (c’est-à-dire le monde extérieur).

 

Le sujet « prend dans son moi les objets qui se présentent à lui en tant que sources de plaisir, il les introjecte et, d’autre part, il expulse de lui ce qui, dans son propre intérieur, est source de déplaisir (mécanisme de la projection). » (Nous en avons un prototype dans l’opposition ingérer-rejeter).

 

Nous reprendrons ces notions en étudiant l’apport d’Anna Freud et de Mélanie Klein. A côté d’autres mécanismes que nous verrons, la projection intervient de façon massive chez l’enfant psychotique.

 

 

Le déni

 

Ce terme de déni est employé par Freud dans un sens spécifique, celui du refus de la perception d’un fait s’imposant dans le monde extérieur. Il s’agit d’un mode de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la réalité d’une perception traumatisante, essentiellement, selon lui, celle de l’absence de pénis chez la femme. Ce mécanisme est particulièrement invoqué par Freud pour rendre compte du fétichisme et des psychoses.

 

Freud apparente ce processus au mécanisme psychotique. Pour lui, ce serait un processus qui ne serait ni rare ni très dangereux chez l’enfant mais qui, chez l’adulte, serait le point de départ d’une psychose.

 

Et tant que le déni porte sur la réalité extérieure, Freud y voit, par opposition au refoulement, le premier temps de la psychose : alors que le névrosé commence à refouler les exigences du ça, le psychotique commence par dénier la réalité.

 

 

Le clivage.

 

Freud : le clivage du Moi

M. Klein : le clivage de l’objet

 

Le clivage selon Freud.

 

Freud emploie le terme de clivage pour désigner un phénomène bien particulier qu’il voit à l’œuvre surtout dans le fétichisme et dans les psychoses, celui de la coexistence, au sein du moi, de deux attitudes psychiques envers la réalité extérieure en tant que celle-ci vient contrarier une exigence pulsionnelle : l’une de ces attitudes psychiques tient compte de la réalité, l’autre dénie la réalité en cause et met à sa place une production du désir. Ces deux attitudes persistent côte à côte sans s’influencer réciproquement.

 

Freud a pu parler aussi de clivage de la conscience dans certains cas d’hystérie avec coexistence au sein du psychisme de deux groupes de phénomènes, voire de deux personnalités, qui peuvent s’ignorer mutuellement.

 

Le clivage, pour Freud, est le résultat du conflit et ne comporte en elle-même aucune valeur explicative. Il pose la question : pourquoi, comment, le sujet conscient s’est-il ainsi séparé d’une partie de ses représentations ?

 

Il dégage ensuite la notion de clivage du moi, dans ses réflexions sur la psychose et le fétichisme (Le Fétichisme, 1927), Le clivage du moi dans les processus de défense (1938), Abrégé de la psychanalyse (1938).

 

En effet, le déni, en lui seul, ne permet pas de rendre compte de ce que la clinique observe dans la psychose (et le fétichisme). Comme il le note : « le problème de la psychose serait simple et clair si le moi pouvait se détacher totalement de la réalité, mais c’est là une chose qui se produit rarement, peut-être jamais ».

 

Dans toute psychose, fût-elle profonde, on peut retrouver la coexistence de deux attitudes psychiques : « l’une qui tient compte de la réalité, l’attitude normale, l’autre, qui, sous l’influence des pulsions, détache le moi de la réalité ». C’est cette seconde attitude qui se traduit, (dans certains cas), dans la production d’une nouvelle réalité délirante.

 

Une des particularités de ce processus est de ne pas aboutir à la formation d’un compromis entre les deux attitudes en présence comme dans le symptôme névrotique mais de les maintenir simultanément sans qu’il ne s’établisse entre elle de relation dialectique.

 

 

L’introjection et l’identification

 

L’introjection

 

Freud reprend ce terme introduit par Sandor Ferenczi et l’oppose nettement à la projection. (« Pulsions et destin des pulsions » 1915) ; (« La (dé) négation » 1925).

 

Il envisage la genèse de l’opposition sujet-objet (ou moi-monde extérieur) en tant qu’elle est corrélative de l’opposition plaisir-déplaisir : le « moi-plaisir purifié » (de tout le déplaisir) se constitue par une introjection de tout ce qui est source de plaisir et une projection au-dehors de tout ce qui est occasion de déplaisir ». « Le moi-plaisir originaire veut s’introjecter tout le bon et rejeter de soi tout le mauvais ».

 

Pour relier les différentes notions freudiennes, on pourrait peut-être dire, qu’au stade du narcissisme primaire et du passage progressif du narcissisme primaire où l’objet n’est pas distingué, au narcissisme secondaire où il le devient, donc au moment de la formation progressive du moi et de la distinction sujet-objet, le sujet investit ses fonctions corporelles et les prémisses de sa relation au monde extérieur en tant qu’elles sont vécues comme satisfaisant le principe de plaisir. Ainsi, les sources de plaisir sont introjectées alors que le mauvais, le déplaisir est rejeté à l’extérieur, dans le monde environnant et dans la mère (ou le substitut maternel) qui n’est pas encore distinguée en elle-même. Ce ne sera que secondairement et progressivement que la réalité sera perçue (et nous reverrons cela avec Mélanie Klein) et que aspects bons et mauvais seront réunis dans les mêmes objets. Les investissements narcissiques se répartiront alors avec les investissements objectaux.

 

Comme nous le reverrons également en étudiant la projection en tant que mécanisme de défense utilisé massivement dans la psychose, cette opposition introjection-projection apparaît comme un mécanisme archaïque « normal » nécessaire à la constitution du moi.

 

L’introjection aurait comme prototype corporel l’incorporation, tandis que la projection aurait comme prototype les actions de rejet vers l’extérieur (cracher, régurgiter, déféquer…).

 

Il convient cependant de maintenir une distinction entre incorporation et introjection.

 

En psychanalyse, la limite corporelle est le prototype de toute séparation entre un intérieur et un extérieur et le processus d’incorporation se rapporte explicitement à cette enveloppe corporelle. Le terme d’introjection est plus large : ce n’est plus seulement l’intérieur du corps qui est en cause, mais l’intérieur de l’appareil psychique avec ses différentes instances.

 

 

(Le mouvement projection-introjection chez A. Freud et M. Klein) 

 

Anna Freud et Mélanie Klein, envisageant cette conception freudienne dans une perspective chronologique, se demandent si le mouvement projection-introjection présuppose la différenciation du dedans et du dehors où si elle constitue celle-ci. C’est ainsi qu’Anna Freud écrit : « Nous pensons que l’introjection et la projection apparaissent à l’époque qui suit la différenciation du moi d’avec le monde extérieur ». Elle s’oppose ainsi à Mélanie Klein qui a mis au premier plan la dialectique de l’introjection-projection du bon et du mauvais objet, et y a vu le fondement même de la différenciation intérieur-extérieur.

 

Dans certains textes de Freud (Pulsions et destins des pulsions 1915 et La dénégation (1925), c’est le « haï », le « mauvais » qui est projeté. Pour Mélanie Klein, de même, c’est le « mauvais objet » fantasmatique qui est projeté comme si la pulsion ou l’affect, pour être véritablement expulsés, devaient nécessairement s’incarner en un objet.) Ainsi, dans la définition métapsychologique de la projection (et en cela différemment du sens commun), on retrouve une bipartition de la personne et un rejet sur l’autre de la partie de soi qui est refusée.

 

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MELANIE KLEIN

 

 

III. Mélanie Klein                                                                           B. Algranti Fildier

 

Pour introduire Mélanie Klein et la situer.

 

Au début de ses travaux, peu avant 1920, Mélanie Klein adopte complètement toutes les découvertes freudiennes.

 

Elle met progressivement au point alors une technique d’analyse d’enfant à partir de l’idée selon laquelle le jeu des enfants en situation analytique équivaut aux associations libres des adultes dans la même situation.

 

Ce n’est qu’après quinze années d’analyse d’enfants qu’elle publie ses premières théorisations rassemblées dans son ouvrage intitulé « La Psychanalyse des Enfants » publié en 1932 (à Londres). Elle y met en évidence la fréquence et l’intensité insoupçonnée de l’angoisse et la culpabilité chez l’enfant. Elle y explore, à partir de l’analyse d’enfants psychotiques mais aussi d’enfants très jeunes présentant peu de troubles, les angoisses, les fantasmes et les défenses de la toute petite enfance.

 

Elle y explore la vie imaginaire de l’enfant, se centrant sur le fonctionnement intra-psychique et les fantasmes mis en évidence dans les jeux des enfants analysés.

 

Elle conceptualise ces fantasmes en terme de relation imaginaire de l’enfant avec le corps de la mère et met en évidence une infinie diversité de fantasmes de nature « sadique orale, anale et urétrale » par lesquels l’enfant fait, selon elle, irruption dans le corps de la mère ; l’intérieur du corps de la mère est ressenti et imaginé par l’enfant comme contenant tout un monde de richesse que le désir, l’avidité et l’envie infantiles fantasmes sous la forme de nourriture, de bébés et de pénis.

 

Bien entendu, ses premières conclusions déclenchèrent très vite de très vives polémiques qui ne sont pas encore apaisées à l’heure actuelle.

 

Tout au long de ses travaux, c’est-à-dire entre 1919 et 1957 environ, après avoir installé les bases du traitement analytique de l’enfant et découvert cette infinie diversité de fantasmes et d’angoisses, elle cherche à trouver des points de repères dans les multiples confusions de la mentalité infantile.

 

A partir de 1932, ses recherches l’amènent à conceptualiser le développement de l’enfant. Elle construira progressivement les notions que nous allons voir de position schizo-paranoïde et dépressive, de clivage de l’objet et du moi, de relation d’objet partiel et bien d’autres encore.

 

Il est absolument impossible de détailler en une ou deux heures l’ensemble des découvertes et théories de Mélanie Klein, extrêmement riches et complexes et tout à fait fondamentales pour l’appréhension des mécanismes en œuvre dans les psychoses de l’enfant. Nous ne pourrons que résumer de la façon la plus claire possible - ce qui représente un vrai défi - cet apport et les notions qui nous sont utiles dans la compréhension et l’abord des psychoses de l’enfant.

 

Il faut lire Mélanie Klein, se plonger dans ses récits d’analyses d’enfants et ses théorisations successives pour apprécier peu à peu la richesse de sa pensée et se faire sa propre opinion.

 

Quelques ouvrages fondamentaux : La psychanalyse des enfants, Paris, P.U.F. 1932, traduction française, 1959 ; Essais de Psychanalyse, ouvrage rassemblant des écrits de 1921 à 1945, traduction française, Paris Payot, 1967; Envie et Gratitude, traduction française, Gallimard, 1968. Si l’on ne suit pas progressivement sa pensée et ses découvertes en lisant ses récits successifs, les conceptualisations de Mélanie Klein peuvent choquer et apparaître incompréhensibles. Il faut alors simplement imaginer que Mélanie Klein, par l’intermédiaire de sa technique d’analyse par le jeu, plonge dans un univers uniquement fantasmatique, qu’elle ne relie à aucun moment avec la réalité de la vie de l’enfant concerné. Il s’agit du domaine sans limite du fantasme et de la relation imaginaire de l’enfant au monde extérieur que Mélanie Klein rapporte alors au corps de la mère de manière métaphorique.

 

Il est très important de comprendre, avant d’entrer dans un résumé partiel et très imparfait de sa pensée, que Mélanie Klein ne fait jamais référence, comme le fera Margareth Malher par exemple dont nous parlerons, à l’observation directe de l’enfant. Elle ne prendra jamais en compte la réalité de la relation mère-enfant ni des attitudes qui en découlent du côté de la mère, attitudes se répercutant sur les fantasmes de l’enfant. Elle ne prendra jamais en compte non plus les conditions de la vie réelle de l’enfant : il s’agit vraiment du domaine du fantasme et de l’intrapsychique.

 

Pourtant, par ailleurs, elle apportera au fil de ses écrits, des notes extrêmement intéressantes sur les attitudes éducatives de son époque. Par exemple, elle avancera l’importance, en grande pionnière, de l’information sexuelle claire pour le développement intellectuel optimal ; elle avancera des idées révolutionnaires pour l’époque concernant le rôle possible de la psychanalyse pour la prophylaxie mentale allant jusqu’à prôner l’ouverture de jardin d’enfants analytiques, bien proches me semble-t-il des « maisons vertes » de F. Dolto … Elle ouvre des voies de recherche tout à fait passionnantes sur le développement des symboles …

 

Sa pensée est d’une richesse tout à fait extraordinaire même si nous devons toujours avoir conscience des limites que nous devons apporter à ses conclusions.

 

La position schizo-paranoïde.

 

Pour Mélanie Klein, dans les tous premiers mois de la vie, la relation fantasmatique du nouveau-né au monde est une relation d’objets partiels : le monde extérieur n’est perçu que de façon très partielle, par l’intermédiaire de la relation à la mère encore loin d’être perçue dans sa totalité. Ce qui est perçu par le nouveau-né dans les alternances gratification et soulagement des tensions internes d’une part, frustration et exacerbation de ces tensions internes d’autre part, ce sont des « bonnes » parties de lui-même et de l’objet et des « mauvaises » parties de lui-même et de l’objet.

 

Mélanie Klein conceptualise cette relation à l’objet partiel en décrivant une relation au sein maternel clivé en deux aspects donc radicalement séparés : un sein idéal, objet du désir de l’enfant et un sein persécuteur, source de peur et de haine. (Voir plus loin Clivage et objets partiels.)

 

L’angoisse primordiale est alors l’angoisse persécutrice ou paranoïde liée à la relation au sein persécuteur, d’où le terme de position paranoïde qu’elle choisit pour définir ce premier mode de relation d’objet, plus tard nommée position schizo-paranoïde en raison des mécanismes schizoïdes de clivage.

 

Pour Mélanie Klein, ce clivage précoce est donc le mécanisme de défense qui maintient radicalement séparés le bon objet du mauvais objet, ainsi que les bonnes et les mauvaises parties du moi. Le clivage de ces mauvaises parties de lui-même portant les pulsions destructrices et de l’objet protège ainsi la relation des bonnes parties du moi avec le bon objet.

 

Cette « position paranoïde » correspond donc pour Mélanie Klein à une modalité des relations d’objet spécifique des quatre premiers mois de la vie mais que l’on peut retrouver ultérieurement dans le cours de l’enfance et chez l’adulte, notamment dans les états paranoïaques et schizophréniques.

 

Dans cette conception des premiers mois de la vie, les pulsions sadiques et destructrices sont d’emblée présentes et les émotions qui s’y rattachent intenses.

 

Les mécanismes prévalents de cette phase sont la projection et l’introjection. Sur le mauvais objet sont projetées non seulement les pulsions agressives liées aux frustrations mais aussi la haine de l’enfant indépendante des frustrations réelles.

 

Là et dans pratiquement toute son œuvre, Mélanie Klein se dégage de tout rapport avec la réalité vécue par l’enfant : les pulsions agressives, pour elle, existent en dehors de toute réalité frustrante.

 

(Ces idées peuvent choquer et être rejetées. Pourtant, une observation, par exemple, assez fréquente, peut venir conforter dans une certaine mesure cette idée : un enfant de 13 mois, alors qu’il est proche de sa mère, se cogne ; il se tourne alors vers sa mère et la tape. Ne serait-ce pas là un reste d’un mécanisme fantasmatique prévalent à une période plus ancienne ? L’enfant subissant un excès d’excitation déplaisante – la douleur liée au choc - agit comme si sa mère l’avait directement frustré… Ceci dit, cette attitude n’est certainement pas présente chez tous les enfants et dépend vraisemblablement des expériences précoces.)

 

Au cours de cette même position schizo-paranoïde, le bon objet est idéalisé, il est capable d’apporter une gratification illimitée, immédiate, sans fin. Son introjection défend l’enfant contre l’angoisse persécutive. Le mauvais objet est un persécuteur terrifiant, son introjection fait courir à l’enfant des risques internes de destruction.

 

Le moi « très peu intégré » à cette période n’a qu’une capacité limitée à supporter l’angoisse. Il utilise comme mode de défense outre le clivage et l’idéalisation que nous venons de voir, le déni qui vise à refuser toute réalité à l’objet persécuteur et le contrôle omnipotent de l’objet.

 

Le dépassement normal de cette position paranoïde dépendrait alors de la force relative des pulsions libidinales (d’amour envers le bon objet) par rapport aux pulsions destructrices (d’attaques sadiques envers le mauvais objet).

 

Le clivage de l’objet est particulièrement à l’œuvre dans la position schizo-paranoïde où il porte donc sur des objets partiels. Il se retrouvera dans la position dépressive où il porte alors sur l’objet total.

 

 

Précisions sur l’objet partiel.

 

Les objets partiels, selon la conception freudienne, représentent les types d’objets visés par les pulsions partielles sans que cela implique qu’une personne dans son ensemble soit prise comme objet d’amour. Il s’agit principalement de parties du corps réelles ou fantasmées (sein, fèces, pénis …) et de leurs équivalents symboliques.

 

Avec Mélanie Klein, dans l’expression objet partiel, le terme d’objet prend toute la valeur que lui a donné la psychanalyse : quoique seulement partie, l’objet (sein ou autre partie du corps) est doté fantasmatiquement de caractères semblables à ceux d’une personne (par exemple persécuteur, rassurant, bienveillant, etc …).

 

(Le sein par exemple, en tant qu’objet partiel, ne représente pas dans le fantasme seulement l’objet réel sein mais l’ensemble des éléments que l’enfant rencontre au cours de la tétée qu’elle soit au sein ou au biberon, c’est-à-dire l’ensemble des sensations qui s’y rattachent (kinesthésiques dans le portage ou le holding, la tenue dans les bras …, tactiles dans le contact de la peau, olfactives dans l’odeur, visuel dans la vue du le sein lui-même ou du biberon, du regard de la mère, de son visage…).

 

L’enfant porté par ses pulsions partielles orales investit libidinalement ces éléments représentés dans le fantasme et que l’on résume dans le concept de sein / objet partiel.

 

Ce n’est pas la personne propre de la mère qui est investie à ce stade par la libido, par la pulsion partielle orale, mais des éléments de celle-ci et de la situation de nourrissage.

 

(Exemple de S. qui, en entretien, avait saisi un petit ballon souple rouge qu’elle tapotait contre ses lèvres et respirait, comme elle respirait l’odeur du pull de l’infirmière en disant : « je sens la couleur bleue ». La sortie hors du bureau avait représenté pour elle un déchirement intolérable vécue pratiquement dans son corps propre prolongé par ce ballon dont elle ne pouvait plus se séparer. Ceci est un exemple d’objets partiels. On peut dire que le ballon en question représentait le bon sein rassurant.)

 

 

La position dépressive.

 

Selon Mélanie Klein, la position dépressive constitue une modalité de relation d’objet consécutive à la position paranoïde : elle s’institue aux environs du quatrième mois et est progressivement surmontée au cours de la première année, encore qu’elle puisse être retrouvée dans le cours de l’enfance et réactivée chez l’adulte notamment dans le deuil et les états dépressifs.

 

Elle se caractérise par les traits suivants : l’enfant est désormais capable d’appréhender la mère comme un objet total ; le clivage entre « bon » et « mauvais » objet s’atténue ; les pulsions libidinales et hostiles tendant à se rapporter au même objet. L’angoisse, dite dépressive, porte alors sur le danger fantasmatique de détruire et de perdre la mère du fait des attaques du sujet. L’objet étant maintenant un objet total, sa perte ou sa menace de perte est ressentie comme une perte totale. Cette angoisse est combattue par divers modes de défense (défenses maniaques ou défenses plus adéquates : réparation, inhibition de l’agressivité), et surmontée quand l’objet aimé est introjecté de façon stable et sécurisante.

 

L’accès à la position dépressive correspond au passage, crucial dans le développement de l’enfant, de la relation d’objet partiel à la relation d’objet total. Ce passage se produit quand l’enfant devient capable de ressentir sa mère non plus seulement comme remplissant pour lui un certain nombre de fonctions essentielles pour sa vie et pour son bien-être, mais comme une personne entière et distincte de lui.

 

La position dépressive s’instaure donc après la position paranoïde vers le milieu de la première année. Elle est corrélative d’une série de changements :

 

    1) la personne totale de la mère peut être perçue, prise comme objet pulsionnel et introjectée. Les aspects bons et mauvais ne sont plus radicalement répartis entre des objets séparés par un clivage mais rapportés au même objet. De même l’écart entre l’objet fantasmatique interne et l’objet externe se réduit. Ce qui signifie que la réalité est de mieux en mieux perçue, que le principe de réalité acquière sa prégnance. L’objet maternel et les autres objets investis sont reconnus davantage dans leur réalité, leur individualité avec leurs aspects bons et mauvais.

   

   2) Les pulsions agressives et libidinales s’unissent dans la visée d’un même objet, instaurant ainsi l’ambivalence. « L’amour et la haine se sont beaucoup rapprochés et le « bon » et le « mauvais » sein, la bonne et la mauvaise mère ne peuvent plus être maintenus aussi largement à l’écart l’un de l’autre qu’au stade précédent.

 

Corrélativement à ces modifications, l’angoisse change de caractère : elle porte désormais sur la perte de l’objet total intérieur ou extérieur et trouve son motif dans le sadisme infantile ; bien que celui-ci soit, selon M. Klein, moins intense que dans la phase précédente, il risque, dans l’univers fantasmatique de l’enfant, de détruire, d’endommager, de provoquer l’abandon. L’enfant peut tenter de répondre à cette angoisse par la défense maniaque qui utilise, plus ou moins modifiés, les mécanismes de la phase paranoïde (déni, idéalisation, clivage, contrôle omnipotent de l’objet). Mais il surmonte et dépasse effectivement l’angoisse dépressive par les deux processus de l’inhibition de l’agressivité et de la réparation de l’objet.

 

Tandis que prédomine la position dépressive, la relation à la mère commence à ne plus être exclusive. « La libido et l’angoisse dépressive sont détournées dans une certaine mesure de la mère, et ce processus de distribution stimule les relations d’objet de même qu’il diminue l’intensité des sentiments dépressifs. »

 

La position dépressive est aussi le moment de la naissance des capacités d’amour. Pour Mélanie Klein, le Moi ne parvient à constituer son amour pour un objet bon, un objet complet, et de plus un objet réel, qu’en passant par un écrasant sentiment de culpabilité.

 

Lorsque la mère devient pour lui un objet total, l’enfant peut commencer à l’aimer comme une personne, une personne qui peut le soulager de ses angoisses persécutrices mais qui est elle-même exposée aux attaques de la part des propres pulsions de l’enfant qui vit maintenant toute son ambivalence, son amour et sa haine à son égard. Il la ressent en danger d’être détruite. Les fantasmes de destruction de la mère aimée à laquelle l’enfant s’identifie s’accompagnent de sentiment de perte, de nostalgie et de culpabilité nouveaux.

 

La position dépressive est un mélange de ces sentiments avec les angoisses persécutrices de la phase précédente. Le moi ressent une insécurité dans la possession des bons objets. Des fluctuations constantes se produisent entre l’angoisse persécutrice si la haine prédomine, et l’angoisse dépressive lorsque l’amour vient au premier plan.

 

Comme la précédente, cette position est ensuite dépassée sans pour autant disparaître totalement. Elle peut transitoirement être réactivée au gré des événements de la vie surtout relationnelle.

 

 

Précisions : Bon objet et mauvais objet ; Projection ; Clivage de l’objet ; Imagos.

 

La dialectique des « bons » et « mauvais » objets est au cœur de la théorie psychanalytique de Mélanie Klein telle qu’elle s’est dégagée de l’analyse des fantasmes les plus archaïques.

 

Il s’agit de caractères fantasmatiques. Ce sont des « imagos », des images déformées de façon fantasmatique des objets réels sur lesquels elles sont basées. Cette déformation résulte de deux facteurs : d’une part, la gratification par le sein fait de celui-ci un « bon » sein et à l’inverse, l’image d’un « mauvais » sein se forme corrélativement au retrait ou au refus du sein. D’autre part, l’enfant projette son amour sur le sein gratifiant et surtout son agressivité sur le mauvais sein. Bien que ces deux facteurs constituent un cercle vicieux (« le sein me hait et me prive parce que je le hais et réciproquement je le hais parce qu’il me prive et me hait) Mélanie Klein insiste surtout sur le facteur projectif. (C’est lui qui me hait et me prive).

 

Le mécanisme de clivage de l’objet en bon et mauvais est considéré par Mélanie Klein comme la défense la plus primitive contre l’angoisse : l’objet visé par les pulsions érotiques et destructives est scindé en un « bon » et un « mauvais » objet qui auront des destins relativement indépendants dans le jeu des introjections et des projections.

 

Elle postule une agressivité, une pulsion destructrice, inhérente au développement quels que soit les caractères de la réalité vécue par l’enfant. Pour elle, il s’agit de l’expression de la pulsion de mort, du dualisme entre la pulsion de mort et la pulsion de vie. C’est à partir de cette agressivité, et même du sadisme du tout petit enfant (lié au Surmoi primitif sévère) que s’organise le clivage primitif entre les bons et les mauvais objets.

 

Le clivage de l’objet est particulièrement à l’œuvre dans la position schizo-paranoïde où il porte sur des objets partiels. Il se retrouve dans la position dépressive où il porte alors sur l’objet total.

 

Le clivage des objets s’accompagne d’un clivage corrélatif du moi en un « bon » moi et un « mauvais » moi, le moi étant pour l’école kleinienne essentiellement constitué par l’introjection des objets.

 

Encore une fois, Mélanie Klein n’a considéré ces processus que d’un point de vue intra-psychique sans prendre en compte la réalité de ce que vit chaque enfant, et cela à partir d’analyses d’enfants présentant des pathologies de type psychotique surtout. Cependant des éléments de l’observation directe, de la réflexion clinique et de l’analyse de jeunes enfants ne présentant pas ces pathologies corroborent pourtant, dans une certaine mesure, ces déductions. Il faut seulement relativiser ces éléments. Il semble plausible que tous les enfants passent par des phases ou des moments de type schizo paranoïde dans les premiers mois de leur vie et quelquefois aussi ultérieurement. Un bébé de quelques jours ou quelques semaines envahi de tensions internes, totalement dépendant des « soins maternels » et dont la tension n’est pas soulagée ou tarde à l’être, vit vraisemblablement des états de détresse qui deviennent des fantasmes ou de traces de fantasmes terrifiants (anéantissement, chute sans fin …) qui ultérieurement s’organisent dans des représentations angoissantes pour tous les enfants, largement employées dans les contes : les loups, les ogres, les sorcières (angoisses de dévoration, d’empoisonnement …).

Chez les tous petits nourrissons, on peut donc tout à fait postuler l’existence de ce qui est résumé dans la notion de mauvais objets. Il va chercher à expulser le mauvais, de la même façon qu’il cherche à se débarrasser de tout excès de tension. L’excès d’excitation, traumatisant, peut être fantasmatiquement vécu comme une attaque d’objets persécuteurs contre son propre corps. Les raisons pour lesquelles, chez certains enfants, ces angoisses deviennent massives peuvent être diverses (mère inadéquate – il y en a - mais aussi traumatismes médicaux, hospitalisations, transfusions … ou autres, ou bien défaut chez l’enfant lui-même de ces mécanismes de projection et d’introjection primitif d’étiologies diverses et souvent inconnues. Nous pouvons voir facilement des expressions d’angoisses terrifiantes chez tout enfant, surtout, manifestement, ce que nous reprendrons ultérieurement qui est ce que R. Spitz a appelé l’angoisse du huitième mois ou angoisse du visage de l’étranger. Nous y reviendrons mais nous pouvons déjà dire que les réactions totalement démesurées de terreur des enfants de 5 à 10 mois au même plus face à l’irruption dans leur monde d’étrangers (surtout des hommes à voix forte, ou de visages étrangers trop proches …) laissent imaginer l’existence d’angoisses terrifiantes persécutrices des tous jeunes nourrissons …

Une autre attitude de certains enfants dans un certain type de situation – comme celle où un petit enfant de 13 mois environ se cogne et vient taper sa mère présente – témoignent de l’existence d’un tel processus : l’excès d’excitation, ici une douleur provoquée par le heurt d’un meuble est vécu comme une attaque persécutrice du mauvais objet représenté alors par la mère présente qui n’a pas su empêcher le choc. C’est une attitude inadéquate à cet âge qui signe la persistance possible, mais souvent que dans certaines circonstances, de ce vécu persécuteur : l’excès de tension interne est vécu comme étant causée par un objet persécuteur.

 

Nous pouvons aussi postuler que lorsque les expériences traumatiques se répètent les mauvais objets prédominent dans le fonctionnement mental en éveil du nourrisson. Alors l’angoisse peut être telle que le clivage précoce des bons et des mauvais objets, nécessaire avant leur réunification dans les objets totaux, ne peut se réaliser vraiment : les mauvais objets envahissent en permanence les bons et les bases de la santé mentale ne sont pas construites.

 

 

Objet partiel. Objet total

 

(S. FEUD, K. ABRAHAM, M. KLEIN)

 

Les objets partiels représentent les types d’objets visés par les pulsions partielles sans que cela implique qu’une personne dans son ensemble soit prise comme objet d’amour. Il s’agit principalement de parties du corps, réelles ou fantasmées (sein, fèces, pénis) et de leurs équivalents symboliques. Une personne peut s’identifier ou être identifiée à un objet partiel.

 

Les pulsions partielles, telles que Freud les a décrites dans les Trois Essais sur la théorie de la sexualité et considérées dans une perspective génétique (développementale), fonctionnement d’abord indépendamment les unes des autres puis tendent à s’unir dans les différentes organisations libidinales.

 

Chacune des pulsions partielles se définit par une source (par exemple pulsion orale, pulsion anale) et par un but (par exemple pulsion de voir, pulsion d’emprise). La plupart des pulsions partielles se laissent facilement rattacher à une zone érogène déterminée.

 

La théorie freudienne suppose que les pulsions fonctionnent d’abord à l’état anarchique pour s’organiser secondairement sous le primat du génital.

 

L’idée d’organisation prégénitale infantile amène à concevoir des phases de développement de la libido dans laquelle chaque pulsion partielle, chacune pour soi, cherche sa satisfaction de plaisir dans le corps propre (auto-érotisme). (Le suçotement du pouce, par exemple, satisfaction auto-érotique de la pulsion orale).

 

Chaque pulsion partielle vise, non seulement le corps propre, mais un objet, un objet partiel : le sein, la nourriture, les fèces, le pénis, etc …

 

Après Freud, Karl Abraham (dont Mélanie Klein a été l’élève), considère l’opposition objet partiel / objet total dans l’évolution des relations d’objet. L’amour partiel d’objet constitue une des étapes du « développement de l’amour d’objet ».

 

Les travaux de Mélanie Klein se situent sur la voie ouverte par Karl Abraham. La notion d’objet partiel est au cœur de la reconstruction qu’elle donne à l’univers fantasmatique de l’enfant.

 

Les oppositions bon objet / mauvais objet ; introjection/projection ; partiel / total représentent les couples entre lesquels s’établit la dialectique des fantasmes. L’objet partiel, pour Abraham, est notamment l’enjeu du processus d’incorporation.

 

Avec Mélanie Klein, dans l’expression d’objet partiel, le terme d’objet prend toute la valeur que lui a donné la psychanalyse : quoique partiel, l’objet (sein ou autre partie du corps) est doté fantasmatiquement de caractères semblables à ceux d’une personne (par exemple persécuteur, rassurant, bienveillant, etc …). Le sein par exemple, en tant qu’objet partiel, ne représente pas dans le fantasme seulement l’objet réel sein mais l’ensemble des éléments que l’enfant rencontre au cours de la tétée qu’elle soit au sein ou au biberon, c’est-à-dire l’ensemble des sensations kinesthésiques (le portage ou le holding, la tenue dans les bras, le contact de la peau, l’odeur, le sein lui-même ou le biberon, le regard de la mère, son visage…)

 

L’enfant, porté par ses pulsions partielles orales, investit libidinalement ces éléments représentés dans le fantasme et que l’on résume dans le concept de sein/objet partiel.

 

 

Clivage et santé mentale.

 

M. MALHER, M. KLEIN, R. SPITZ, M. FAIN, M. SOULE, L. KREISLER.

 

Le clivage de l’objet et du moi est à la base de la santé mentale. Pour la santé mentale, il doit se constituer très primitivement.

 

Le bébé présente un certain nombre d’activités expulsives physiologiques (déféquer, uriner, vomir, éternuer, tousser, cracher, régurgiter, etc …) qui, avec les mouvements musculaires et les pleurs, constituent quelques mécanismes actifs à sa disposition pour essayer de se débarrasser des états d’inconfort. (Margareth Malher) Ce sont ces activités qui vont se constituer en précurseurs des identifications projectives.

 

Au niveau des prémisses de la pensée et du fantasme, le même processus existe : le désagréable, facteur de tension, d’excès d’excitation est projeté à l’extérieur, le bébé cherchant à s’en débarrasser, tandis que les bons aspects de sa relation au monde sont introjectés (sa mère en particulier – mais toujours une mère non limitée encore à la personne réelle mais faite d’éléments de cette personne et des objets partiels du monde environnant investis par les pulsions partielles à l’œuvre dans le psychisme du bébé).

 

Pour que ce processus se constitue de façon stable, il faut que la mère, - la traduction que fait la mère du monde environnant, c’est-à-dire la façon dont elle soigne l’enfant et dont elle atténue les excitations – organise autour de l’enfant un monde suffisamment stable, fiable, atténue les excitations pour qu’elles ne deviennent pas traumatiques. (Elle exerce une fonction de détoxication…).

 

Nous retrouvons la fonction de pare-excitations de la mère, la capacité de holding, la préoccupation maternelle primaire (Winnicott) et la capacité de rêverie de la mère (Bion) à des niveaux différents de conceptualisation).

 

L’illustration clinique la plus parlante de ce clivage nécessaire à la santé mentale est représentée par ce que R. Spitz a nommé « l’angoisse du 8ème mois » et qui apparaît souvent en fait dès le 5ème mois pour montrer une apogée, selon les enfants, entre 5 et 10 mois. C’est, après le sourire de la sixième semaine, le deuxième organisateur de la vie psychique selon Spitz.

 

Il est l’expression d’un clivage réussi : le bébé qui commence à parvenir à la phase dépressive, commence à reconnaître sa mère comme un objet total. Pour cela, il a besoin de passer par cette phase de son développement où les bons objets sont réunis dans la perception fantasmatique de la mère et des personnages familiers, tandis que les mauvais aspects de la relation au monde et à la mère (les mauvais objets) sont projetés sur le visage de l’étranger.

 

Les psychosomaticiens ne sont particulièrement penchés sur ce passage, premier mécanisme proprement mental, première mentalisation. (Fain, Soulé, Kreisler).

 

Ce n’est que secondairement que l’enfant pourra réunir dans l’imago maternelle (c’est-à-dire l’image déformée par le vécu, la réalité intérieure de l’enfant) les bons et les mauvais aspects de sa relation à elle et au monde.

 

Dans le même mouvement, accédant à la phase dépressive, il ne sera plus mu par moment par une force destructrice visant à attaquer l’objet partiel (et le contenu du « corps maternel ») et à d’autres moments par des pulsions libidinales clivées des premières, mais il parviendra à la conception que les bons objets et les mauvais peuvent se réunir dans la perception de la mère, objet total. Ses pulsions destructrices seront alors contenues par ses pulsions libidinales (intrication pulsionnelle). La réparation des attaques contre l’objet sera en place et se manifestera dans ses jeux.

 

 

Identification projective.

 

Il s’agit d’un mécanisme de défense mis en évidence par Mélanie Klein très important à connaître pour une approche des mécanismes en jeu dans les psychoses de l’enfant.

 

Sa connaissance apparaît également d’une importance majeure dans la pratique psychiatrique mais peut-être aussi dans toute pratique de soins. Elle permet de comprendre comment se déclenchent les attitudes de violence rencontrées en institution, donc de trouver les moyens de les éviter.

 

Un détour par la projection.

La projection apparaît comme le moyen de défense originaire contre les excitations internes que leur intensité rend trop déplaisantes (et contre lesquels il n’existe pas au début d’appareil protecteur ou de pare-excitations) : le sujet projette celle-ci à l’extérieur ce qui lui permet de les fuir et de s’en protéger. Il existe alors une inclinaison à les traiter comme si elles n’agissaient pas de l’intérieur mais bien de l’extérieur pour pouvoir utiliser contre elles le moyen de défense du pare-excitations : c’est l’origine de la projection.

Nous retrouvons ce mécanisme de défense massivement mis en œuvre dans les psychoses et la théorie psychanalytique renvoie ce mécanisme au tout début de la vie pour tous les sujets. Le moi en formation projette à l’extérieur, vers le système de pare-excitations maternel, les excitations internes auxquelles il ne peut pas faire face. Toute excitation inacceptable tendrait alors à être projetée de la même façon. Cependant, dans les conditions normales, la constitution du Moi rend progressivement le sujet capable d’utiliser d’autres mécanismes plus adéquats.

 

La projection intervient naturellement dans la vie ordinaire, comme moyen de défense contre l’angoisse. Mais ceci de façon transitoire.

 

Dans les psychoses, ce mécanisme est utilisé massivement. Il serait également le mécanisme prévalent lors de la phase schizo-paranoïde.

 

Mais pour décrire ce phénomène de façon plus fine, nous pouvons introduire la notion d’identification projective.

 

Le Moi se constitue normalement selon toute une série d’identifications où intervient en permanence ces mécanismes de projection et d’introjection (projection à l’extérieur des mauvaises parties du moi et de l’objet, introjection donc à l’intérieur des bonnes parties du moi et de l’objet (de ce qui est ressenti comme mauvais et de ce qui est ressenti comme bon, dans une large indistinction sujet-objet et avec l’intervention, normale et nécessaire à ce stade, du clivage).

 

Progressivement, tandis que s’installe la position dépressive qui nécessite une prédominance de la relation des bonnes parties du self avec les bonnes parties de l’objet, le clivage entre les bonnes et les mauvaises parties s’atténue. Le Moi s’unifie tandis que la relation avec l’objet devient une relation d’objet total.

 

L’identification projective, concept élaboré par Mélanie Klein, dans ce contexte, réunit en lui-même tant de mécanisme de clivage que de projection et d’identification : il serait ainsi le mécanisme prévalent de la phase schizo-paranoïde et se retrouve massivement dans les psychoses.

 

Il s’agit d’un fantasme omnipotent et universel par lequel il est possible de cliver certaines parties du self, du self infantile, et de les projeter dans un objet qui est alors ressenti comme contrôlé du dedans par ce qui a été projeté à l’intérieur de lui. Et par ce fantasme, le sujet obtient le sentiment de s’approprier certains aspects de l’objet dans lequel il a fait intrusion et dont il usurpe ainsi, pourrait-on dire, une partie de son identité.

 

Mélanie Klein fait ainsi, au cours du traitement de l’enfant Dick, l’hypothèse de ce mode de défense plus primitif et plus violent que le refoulement et consistant à lutter, par l’expulsion, contre les deux sources principales de danger que constituent, au début de la vie psychique les pulsions sadiques et l’objet persécuteur. C’est là une première description du mécanisme d’identification projective défini en 1946 par Mélanie Klein dans l’article « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes » qui inaugure une troisième période de son œuvre riche en développements nouveaux dans la compréhension des psychoses.

 

L’identification projective condense plusieurs aspects de la relation primitive à l’objet, à laquelle concourent les mécanismes de clivage, de projection, de déni et d’omnipotence. Elle est, par excellence, le mécanisme de défense contre l’angoisse utilisé au niveau de la position schizo-paranoïde. Elle est basée donc sur le fantasme omnipotent de pouvoir cliver une partie de soi et la projeter dans l’objet. Il se produit ainsi un clivage entre les pulsions libidinales et les pulsions destructrices et les relations à l’objet se trouvent clivées entre des bonnes et des mauvaises relations d’objet. Ces clivages permettent de maintenir les bonnes parties du Moi en relation avec les bons aspects de l’objet et de les protéger contre les objets persécuteurs ainsi que contre les parties destructrices de la personnalité. C’est l’alliance à l’abri de laquelle le Moi pourra se développer et se fortifier jusqu’à devenir capable d’affronter les angoisses d’intégration de la position dépressive.

 

L’identification projective est à la base des relations d’objets narcissiques caractéristiques de la position schizo-paranoïde, dans laquelle les objets sont assimilés à des parties du Self clivées et projetées.

 

L’utilisation de l’identification projective s’accompagne d’angoisses liées aux fantasmes de pénétration, d’intrusion et de contrôle omnipotent exercés sur les objets.

 

Ce mécanisme de défense contre l’angoisse suppose une exacerbation ou une prédominance de la relation à l’objet persécuteur. Et cette relation prédominante au mauvais objet persécuteur empêche l’installation stable de la position dépressive, puis son élaboration.

 

Par cette identification projective, l’enfant psychotique, par exemple, s’approprie fantasmatiquement la toute-puissance dont il imagine l’adulte doté.

 

L’identification projective avec l’objet rejetant réalise une forme primitive de l’identification à l’agresseur, qui permet de projeter l’angoisse et qui expulse avec elle l’expérience émotionnelle pénible. Mais cette expérience émotionnelle contient des parties du self infantile qui sont alors expulsées en même temps. Ce processus entretient donc le clivage et freine toute tentative de réintégration nécessaire à toute réunification du Moi.

 

Ce mécanisme d’identification projective est radicalement différent de celui d’identification introjective : dans celui-ci, des idées, des impressions, des influences venant de l’objet puis des objets, sont introjectés dans le Moi en formation et participent à son édification.

 

L’identification projective décrite par Mélanie Klein représente en fait une identification projective massive, intrusive, une forme très défensive d’identification projective.

 

Dans le tout premier développement, le clivage apparaît comme un mécanisme nécessaire tant que le Moi est encore morcelé. Il permet d’introjecter les gratifications, les bonnes parties de l’objet, de garder les bonnes parties du moi protégées contre les mauvaises liées aux expériences pénibles. Il s’atténue progressivement lorsque prédomine la relation à l’objet d’amour. Le Moi s’unifie alors progressivement.

 

On peut supposer que lorsque les excitations débordent les capacités d’intégration du moi en formation, lorsque le pare-excitation maternel n’est pas suffisant pour contenir cet excès d’excitation, donc lorsque la situation de traumatisme est réalisée, la relation au mauvais objet persécuteur prédomine, et le clivage doit s’intensifier, se rigidifier devant les menaces de ce mauvais objet qui risquerait sinon d’infiltrer les bons objets. La projection intervient elle aussi massivement pour débarrasser le moi de ces mauvaises parties de l’objet et de lui-même. L’identification projective est alors proportionnelle au vécu traumatique. De ceci découlent des perspectives étiologiques …

 

(Cf. M. à quatre ans, après avoir subi une accumulation de traumatismes, s’est mise à agresser les plus petits mais aussi les adultes qu’elle approchait tout d’abord avec affection : il s’agit là aussi d’un mécanisme d’identification projective, forme primitive d’identification à l’agresseur. Elle s’est mise aussi à utiliser ce mécanisme dans ses jeux avec les poupées puis de plus en plus dans ses jeux et de moins en moins avec les autres …)

 

Implications thérapeutiques : thérapeutes, nous avons à recevoir les projections agressives, à les élaborer en réalisant une fonction de pare-excitations … La violence représenterait alors un moyen anti-thérapeutique majeur.

 

W. R. Bion, nous le verrons, a modulé cette notion fondamentale d’identification projective en soulignant que le mécanisme décrit par Mélanie Klein en était la forme pathologique parce qu’excessive et constante. Une identification projective « normale » serait par contre la base de l’empathie.

 

(Exemples de manifestation du processus de l’identification projective : celui déjà donné du petit enfant qui se cogne et vient taper sa mère ; de l’enfant qui, dans son jeu, joue au maître d’école qui malmène sévèrement, cruellement, l’enfant joué par l’adulte ou un autre enfant ; de L. qui projetait en permanence sur les objets extérieurs non reconnus dans leur identité propre les mauvais objets persécuteurs introjectés dont elle tentait ainsi de se débarrasser en s’identifiant à l’agresseur : un simple regard, pourtant bienveillant, déclenchait automatiquement de sa part une grimace ; le moindre interdit et toute expérience de séparation – dans les transitions entre les lieux, par exemple, déclenchait des troubles majeurs du comportement et des provocations sans fin. Toutes ses relations avec l’adulte étaient infiltrées massivement de ces projections. L’autre se sentait attaqué dans son existence propre : comprendre ce mécanisme a permis d’éviter les réactions défensives de violence. Ceci avec beaucoup de difficultés, avec l’aide indispensable de toute une équipe pluridisciplinaire et avant que s’installe un cercle infernal de violence où intervient alors des deux côtés l’identification projective. L’adulte, se sentant personnellement attaqué, agressé, aurait pu lui-même tenter de réduire la tension interne en la projetant lui-même et en s’identifiant à son tour à l’agresseur…).

 

L’identification projective pathologique, en permettant un contrôle fantasmatique de l’objet, permet aussi de nier la séparation et le vécu d’abandon.

 

Elle représente aussi une défense normale dans les premières étapes du développement contre toute reconnaissance d’une distinction entre le sujet et l’objet auquel le Moi reste ainsi réuni et fusionné (relation parfois appelée symbiotique ou fusionnelle) mais son usage trop prolongé et excessif entraîne un appauvrissement ou une mutilation plus ou moins grave du Moi, celui-ci ne pouvant poursuivre son développement qu’à partir d’un certain degré de reconnaissance de la différenciation entre le Self et l’objet, qui survient au moment de la position dépressive.

 

Mélanie Klein est alors en mesure de décrire en détail les multiples mécanismes de clivage par lesquels le Moi se défend contre l’angoisse persécutrice et qui forment la base de la dissociation et de la désintégration schizophrénique. L’introjection excessivement sadique de l’objet fait que le Moi se trouve face à un objet réduit en morceaux par le processus de l’incorporation et qu’il se sent alors lui-même morcelé.

 

Dans Envie et Gratitude, en 1957, Mélanie Klein reprend l’examen des sources de l’envie qu’elle avait rencontrée dès le début de ses travaux dans l’analyse d’enfants psychotiques. Elle en vient à concevoir l’envie comme une expression directe des pulsions de mort comme expression de la pulsion de vie. Elle décrit alors certains aspects de la position schizo-paranoïde résultant d’une envie excessive.

 

Les concepts de clivage et d’identification projective éclairent la nature des identifications narcissiques et donnent une substance nouvelle aux concepts structuraux de Freud : l’analyse peut travailler non seulement en terme de Moi, de Ca et de surmoi, mais aussi de telles ou telles parties plus ou moins clivées de la personnalité et des parties des objets auxquelles elles sont liées.

 

 

  

MARGARETH MAHLER

IV. Margareth S. MALHER.

 

Ouvrage de référence : Psychose infantile. Symbiose humaine et individuation. Petite Bibliothèque Payot, Paris 1968.

 

* Survol historique de la démarche de Margareth Malher.

 

Professeur de psychiatrie, directeur de recherche, psychanalyste, M. Malher est surtout célèbre pour ses travaux sur la psychose infantile. Ceux-ci sont directement liés à ses recherches originales sur le développement de l’enfant et le processus d’individuation.

 

Elle a mis en évidence, par une étude clinique approfondie, une forme symbiotique de psychose infantile qui serait une fixation à l’étape symbiotique du développement où l’enfant ne peut investir l’objet (total) maternel et n’en sépare pas la représentation de celle du soi (ou du self).

 

Elle a proposé, dans la même lignée de pensée, l’hypothèse de plusieurs phases de développement normal, une phase autistique normale précédant la phase symbiotique et une phase de séparation-individuation, après la phase symbiotique. Les vicissitudes de cette phase, qui peuvent conduire à un autisme secondaire, serait le noyau essentiel de la psychose à toutes les périodes de la vie.

 

Ce type de relation symbiotique apparaît dans sa forme pathologique par sa persistance surtout à partir de l’âge de 3-4 ans, au moment où l’enfant doit dénier la réalité et prêter à sa mère (mais aussi aux adultes qui l’entourent) une puissance renforcée par les mécanismes projectifs.

 

Psychanalyste, Margareth Malher commence ses recherches à Vienne dans les années 1930, ceci dans la lignée de S. Freud et d’Anna Freud. A cette époque, seules les névroses graves et les déficiences mentales d’origine organiques étaient reconnues chez l’enfant. Ses essais de faire reconnaître l’existence de troubles de type schizophrénique chez l’enfant restent alors infructueux.

Dans les années 1940, elle est appelée à New York à titre de consultante. Là encore, malgré les tableaux mis en évidence par elle, l’esprit de l’époque réfute toute existence de psychose de l’enfant. Seul, alors, l’autisme infantile précoce décrit par Léo Kanner prend place, dans les troubles mentaux de l’enfance, à côté de l’arriération et de la névrose.

 

Elle publie cependant plusieurs articles où elle décrit et cherche à faire reconnaître les états psychotiques du jeune enfant. Jusqu’au milieu des années 50 elle travaille à la formulation des différences entre l’autisme infantile précoce ou syndrome autistique comme elle le nomme et le syndrome de psychose symbiotique qu’elle met en évidence.

 

Elle acquiert ainsi une renommée considérable et, après vingt-cinq années de recherches, publie, en 1968, son livre sur la psychose infantile, la symbiose et l’individuation où elle élabore une théorie de la symbiose dans le développement de l’être humain.

 

Rappelons que Mélanie Klein a commencé, elle, ses travaux en 1920 (à Londres) écrit les Essais de Psychanalyse entre 1932 et 1945, Envie et Gratitude en 1957 trois années avant sa mort.

 

Margareth Malher qui commence ses travaux une dizaine d’années plus tard se situe dans la lignée d’Anna Freud qui, durant de nombreuses années a été sur certains points en opposition avec Mélanie Klein.

 

Dans les théories d’Anna Freud et de Margareth Malher, la notion de phases, de stades, est nette : il s’agit de paliers à franchir. Dans la conception de Mélanie Klein, il s’agit de « positions » fantasmatiques prévalentes à certains moments de la vie mais se retrouvant à d’autres.

 

Chez Mélanie Klein, les fantasmes sont mis au premier plan sans que les conditions éducatives et la relation réelle ne soit explorées. Chez Anna Freud et Margareth Malher, la relation fantasmatique et la relation réelle sont souvent confondues.

 

Il s’agit donc de deux théorisations différentes, ne se situant pas au même niveau de conceptualisation, Margareth Malher étant plus descriptive et Mélanie Klein se centrant uniquement sur le fantasme. Mélanie Klein, rappelons-le, a conceptualisé ses découvertes à partir de l’analyse de jeunes enfants, en particulier psychotiques sans jamais se référer à l’observation directe. Margareth Malher a confronté les éléments de l’analyse à l’observation directe du nourrisson pour en tirer une théorie du développement. Il est possible de faire des recoupements, des coïncidences qui nous aident à clarifier notre vision du développement précoce en le simplifiant. Il est cependant peut-être plus riche de considérer les deux conceptualisations dans leur richesse et leur différence. Dans une situation clinique, selon la perspective dans laquelle nous nous plaçons, descriptive, préventive ou transférentielle dans l’ordre du fantasme, nous sommes amenés de façon souple à jouer de ces différentes conceptions selon des modulations variées.

 

Margareth Malher, à Vienne puis aux Etats-Unis, est à peu près contemporaine de Winnicott en Angleterre.

 

 

*Les concepts de symbiose et de séparation-individuation selon Margareth Malher.

 

Tout d’abord, elle utilise le terme d’autisme normal pour caractériser les premières semaines de vie : pendant cette période, l’enfant, pour elle, semble être dans un état de désorientation hallucinatoire primaire dans lequel la satisfaction de ses besoins relève de sa propre sphère autistique toute-puissante. A ce stade, le jeune enfant ne peut isoler l’effet des soins maternels qui lui procurent une réduction des douleurs de la faim de ses propres efforts pour réduire la tension en urinant, déféquant, crachant, toussant, éternuant, régurgitant, vomissant, tous moyens par lequel l’enfant tente de se libérer d’une tension déplaisante. L’effet de ces phénomènes d’expulsion, de même que la gratification liée aux soins de la mère, aident l’enfant, au moment voulu, à différencier une qualité d’expérience « agréable » et « bonne » d’une autre « douloureuse » et « mauvaise ». (Nous pouvons retrouver là le clivage du bon et du mauvais objet partiel de Mélanie Klein). Lors de cette phase autistique, la conscience du fait que la sensation de faim vient de l’intérieur de son propre corps et que le soulagement vient de l’extérieur n’est nullement concevable chez le nouveau-né.

 

A partir du deuxième mois, une vague conscience de l’objet de satisfaction des besoins marque le début de la phase de symbiose normale, pendant laquelle l’enfant se comporte et fonctionne comme si lui et sa mère formaient un système tout-puissant- une unité duelle à l’intérieur d’une seule frontière commune.

 

Le terme de symbiose constitue une métaphore. Il a été choisi par Margareth Malher pour décrire cet état d’indifférenciation, de fusion à la mère, dans laquelle le « je » ne se différencie pas encore du « non-je » et où l’intérieur et l’extérieur n’en viennent que graduellement à être perçus comme différents. Toute perception désagréable, interne ou externe, est projetée au-delà de la frontière commune du milieu symbiotique intérieur qui, lui, inclut, les soins maternels satisfaisants. (Nous retrouvons : tout ce qui est bon est introjecté, tout ce qui est mauvais est projeté à l’extérieur).

 

Le trait essentiel de la symbiose est une fusion psychosomatique toute-puissante, hallucinatoire, avec en particulier l’illusion délirante d’une frontière commune à deux individus réellement et physiquement distincts. Ce serait vers ce mécanisme que régresserait le moi dans les cas des troubles les plus graves d’individuation et de désorganisation psychotique que Margareth Malher décrit en termes de « psychose symbiotique de l’enfant ».

 

Ainsi, elle propose de distinguer, au stade narcissique primaire, concept freudien qui lui semble utile de maintenir, deux sous-phases :

     

   1) durant les toutes premières semaines de vie extra-utérine, un stade narcissique primaire absolu, marqué chez l’enfant d’une absence de conscience de l’agent maternant, stade qu’elle appelle « autistique normal ».

   

   2) un stade suivant, stade symbiotique, dont le début se situe autour du troisième mois, où le narcissisme primaire prédomine toujours mais de façon moins absolue, l’enfant commençant à percevoir confusément la source de satisfaction dans l’objet partiel de satisfaction – bien que toujours au sein de son unité duelle symbiotique toute-puissante avec un agent maternant vers lequel s’oriente sa libido.

 

Ainsi, au stade de la toute-puissance magique hallucinatoire le sein ou le biberon fait partie intégrante du self, alors qu’autour du troisième mois l’objet commence à être perçu comme objet partiel non spécifique, assouvisseur des besoins.

 

Lorsque le besoin ne se fait pas sentir de manière aussi pressante, au moment où un certain développement permet à l’enfant de maîtriser la tension, c’est-à-dire lorsqu’il est capable d’attendre et d’anticiper avec confiance la satisfaction, alors Margareth Malher pense que l’on peut parler du début d’un moi et en même temps d’objet symbiotique. Ceci est rendu possible parce qu’il semble y avoir des traces mnésiques du plaisir de gratification. (La réponse spécifique du sourire (6 semaines de vie) montre que l’enfant adopte à l’égard du partenaire symbiotique un mode de réponse différent de celui qu’il a avec les autres êtres humains.

 

Au deuxième semestre de la première année, le partenaire symbiotique n’est plus interchangeable ; l’enfant de cinq mois est maintenant parvenu à établir une relation symbiotique spécifique à la mère (Spitz).

 

 

Les sous phases du processus de séparation-individuation.

 

Dans l’ensemble de ce processus (autisme normal, symbiose, séparation-individuation), Margareth Malher met en évidence des sous-phases déterminant des points nodaux de ce processus de structuration et de développement, des paliers de l’individuation.

 

Ces points nodaux dans l’ensemble donc d’un processus psychique sont mis en rapport avec des moments du comportement de l’enfant, ces moments illustrant les évènements intrapsychiques correspondants. Ils sont importants à connaître et à repérer dans un souci de dépistage des vicissitudes du développement précoce, l’individuation et l’établissement d’un sentiment d’identité stable requérant l’établissement d’un symbiose humaine optimale.

 

S’inspirant de travaux parallèles en rapport avec les siens, elle décrit ainsi tout d’abord une « crise de maturation » débutant à la fin du premier mois, période où elle situe la transition entre la phase autistique et la phase symbiotique. Il y aurait, à ce moment-là, un accroissement notable de toute sensitivité aux stimuli-externes. A la différence de la phase précédente, sans intervention d’une figure maternelle pour l’aider à réduire la tension, le nourrisson tendrait à être débordé par la tension. On assisterait là à la rupture de la barrière quasi hermétique contre les stimuli ou coquille autistique qui maintenait en dehors les stimuli externes.

Il y aurait alors déplacement de l’investissement vers la périphérie sensori-perceptive avec formation d’un pare-excitation contre les stimuli (une barrière qui devient filtrante avec un investissement des perceptions sensorielles) qui en vient à développer la sphère symbiotique de l’unité duelle mère-enfant. L’enfant qui n’est plus protégé par la coquille autistique pratiquement hermétique, qui investit maintenant ses perceptions provenant de l’extérieur, a besoin du système de pare-excitations développé dans la relation au monde par les soins maternels. A la suite de cette « crise de maturation », de ce déplacement massif d’investissement, commence la phase symbiotique.

 

A l’apogée de la symbiose, vers 4 ou 5 mois, l’expression faciale des nourrissons devient plus expressive, présentant le reflet de nombreuses nuances d’« états de moi ». Dans l’état d’ « inactivité alerte » de l’enfant (enfant en éveil et en dehors des moments de besoins), son attention se tourne vers le monde extérieur, en rapport encore intime avec la mère. Un comportement visuel typique en deux temps illustre alors cet investissement du monde extérieur dans la phase symbiotique : l’enfant se tourne d’abord vers un stimulus externe puis vers la mère, son visage, son regard (contre épreuve) = schème de la contre épreuve.

 

Ce processus où l’enfant déplace son investissement libidinal, auparavant centré sur ses perceptions internes, vers les perceptions venant du monde extérieur, tout d’abord dans une aire de protection et de pare-excitations maternels, est appelé par M. Malher « éclosion ».

 

Pour que ce processus se fasse de façon adéquate, dans une alternance de gratifications et de frustrations progressivement dosées, il faut que la symbiose soit optimale, que l’enfant ne soit pas débordé par des excès de tension. « Il est important, dans les premiers mois de la vie, que la tension ne demeure pas à un niveau inhabituellement élevé pendant une période prolongée ».

 

Par contre, lorsque le plaisir liée aux sensations venant de l’extérieur alors qu’à l’intérieur il y a un niveau optimal de plaisir et qu’il existe conséquemment un bon accrochage au sein de la sphère symbiotique, les deux formes de l’attention (sur les perceptions internes et les perceptions externes) peuvent osciller librement. Le résultat est un état symbiotique optimal à partir duquel peut s’effectuer une différenciation sans heurts, une extension hors de la sphère symbiotique.

 

Aux alentours du sixième mois, le « schème de la contre épreuve » s’associe à une conduite (appelée « inspection douanière ») qui consiste, de la part du bébé, dans l’examen visuel et tactile attentif, plus ou moins délibéré, de tous les traits du visage « non maternel » et dans les comparaisons point par point avec se représentation maternelle. Cette conduite s’accentue aux alentours du dixième pois.

 

C’est au cours de cette période que survient ce que nous appelons « l’angoisse du huitième mois » où l’irruption d’un étranger dans le champ perceptif de l’enfant, débordant cette capacité de comparaison progressive, suscite une décharge émotionnelle intense entraînant l’appel et la recherche active de la figure maternelle.

 

Le point culminant du processus d’éclosion semble coïncider avec la poussée de la locomotion active (dernier quart de la première année). L’activité d’exploration motive alors l’enfant à s’éloigner de sa mère dans l’espace, et à pratiquer une séparation physique active ainsi qu’un retour. Il s’agit du deuxième déplacement massif d’investissement et la deuxième sous-phase de l’individuation.

 

Plus près de la perfection aura été la symbiose, la conduite de maintien de la mère (le holding de Winnicott), plus le partenaire symbiotique aura préparé l’enfant à « éclore » de la sphère symbiotique sans heurts et graduellement, mieux l’enfant sera équipé pour trier et différencier les représentations de son self des représentations symbiotiques, jusqu’ici fusionnées, du self-plus-objet.

 

A cette époque encore, environ un an, ni les représentations différenciées du self et de l’objet ne semble encore intégrées en une représentation totale du self et de l’objet libidinal.

 

Margareth Malher décrit l’interaction circulaire entre l’enfant et sa mère d’où certaine qualité globale de la personnalité de l’enfant va émerger.

 

Elle décrit la sélection réciproque des signaux : les nourrissons ont recours à une grande variété de signaux pour indiquer ses besoins, la tension et le plaisir. D’une manière complexe, la mère ne répond de manière sélective qu’à certains de ces signaux. L’enfant modifie graduellement son comportement en fonction de cette réponse sélective, et ce, d’une façon qui est caractéristique de son propre talent inné et de la relation mère-enfant.

 

C’est le besoin inconscient spécifique de la mère qui, des potentialités infinies du nourrisson, active en particulier celles qui créent pour chaque mère l’«enfant » qui est le reflet de ses propres besoins uniques et individuels, ce processus étant circonscrit à l’intérieur de la gamme des dons innés de l’enfant.

 

La signalisation mutuelle de la phase symbiotique crée cette configuration à empreinte indélébile qui constitue le leitmotiv de ce que le « nourrisson devient l’enfant de sa propre mère ».

En d’autres termes, la mère transmet de multiples façons une sorte de « cadre de référence en miroir » auquel s’ajuste le self primitif de l’enfant.

 

Il est alors assez facile, et nous en donnerons des illustrations cliniques, sans céder à la facilité qui consisterait à trouver une causalité directe entre certaines circonstances de la vie d’un enfant et une pathologie particulière – la réalité étant vraisemblablement plus complexe et plurifactorielle - d’imaginer toutes sortes de situations rendant impossible ou extrêmement difficile l’établissement d’une symbiose optimale et entraînant l’apparition d’états psychotiques symbiotiques.

 

Nous pouvons imaginer différentes circonstances, souvent croisées, surajoutées, intriquées : dépression maternelle persistante, latente, non élaborée, altérations des potentialités innées de l’enfant ; grave prématurité, séparations et hospitalisations précoces, pathologies somatiques douloureuses de l’enfant, pathologie mentale de la mère – toutes circonstances intriquées débordant ou rendant inopérant le système de pare-excitation et impossible ou distordues les interactions circulaires mère-enfant.

 

 

M. Malher décrit certaines mères qui avaient une relation symbiotique inconfortable et que le développement de la phase de ces explorations soulage. Il y a aussi établissement d’une certaine distance ce qui rassure les mères qui avaient des difficultés de contact physique.

 

D’autres mères, par contre, qui tenaient beaucoup à l’atmosphère symbiotique, voudraient que l’enfant en sorte, grandissant d’un seul coup et supportent mal la demi-distance établie par l’enfant.

 

Elle cite des exemples : celle d’une mère considérant son enfant comme le prolongement de son propre self narcissique, insensible à ses besoins en tant qu’individu en soi, ayant avec lui une « relation symbiotique parasitaire » puis abandonnant brusquement son enfant à trois ans.

 

Beaucoup d’autres circonstances existent, là encore intriquées, par exemple à la fois une acquisition trop précoce de la marche (alors que l’enfant dépend encore très étroitement de la relation intime avec sa mère) et une mère qui abandonne l’enfant à ce moment à ses propres moyens ….

 

M. Malher, encore une fois, prend donc en considération, à la différence de Mélanie Klein, les attitudes inconscientes des mères. Par contre, la pensée de Mélanie Klein irradie dans un domaine fantasmatique « profond », loin de toutes les considérations réelles de la relation mère-enfant et loin de l’observation directe, ce qui lui permet de plonger dans les profondeurs de la vie fantasmatique dont les éléments constitutifs, quelquefois rapides, n’apparaissent jamais dans l’observation directe mais peuvent être extrapolées des jeux et des comportements des enfants dans une relation transférentielle.

 

Ensuite, le palier du 16ème au 18ème mois semble constituer un autre point nodal du développement, l’enfant étant alors au sommet de « l’état idéal du self » qui constitue, selon M. Malher la représentation affective de l’unité duelle symbiotique avec son sentiment accru de toute-puissance, amplifié, chez le petit enfant qui marche, par l’impression de son propre pouvoir magique. (Troisième sous-phase de l’individuation).

 

« Pendant les prochains dix huit mois (de 18 mois à 3 ans), cet « idéal du self » doit se départir de ses apports délirants ». (C’est-à-dire qui n’est pas en rapport avec la réalité. Il s’agit d’un processus contemporain de la prédominance du principe de réalité sur le principe de plaisir).

 

Il s’agit pour M. Malher d’une période de grande vulnérabilité, une période où l’estime de soi peut souffrir de graves blessures. « Dans les circonstances normales, l’autonomie croissante du jeune enfant a déjà commencé à corriger en partie la surestimation délirante de sa toute-puissance ». M. Malher parle également d’une « identification vraie du moi aux parents » qui normalement s’est amorcée à ce niveau du développement. La quatrième sous-phase de l’individuation correspond pour M. Malher à la réalisation de la permanence de l’objet libidinal.

 

« Au cours de la période allant de 18 mois à deux ans, le nourrisson devient de plus en plus conscient de sa séparation physique ». Lorsqu’il constate son pouvoir et son habilité à s’éloigner de sa mère, l’enfant semble manifester alors un besoin accru et un vif désir que sa mère partage avec lui chaque nouvelle acquisition d’adresse et d’expérience. (Il n’a plus l’illusion toute-puissante de la présence permanente et protectrice de sa mère avec lui, mère et système de pare-excitations maternel : dans les mois précédents, il peut lui arriver de manifester un étonnement lorsqu’il se cogne ou tombe et qu’il réalise que sa mère n’était pas automatiquement présente pour lui éviter de se faire mal). : M. Malher nomme cette sous-phase de la séparation-individuation la période de rapprochement.

 

Ainsi, pour résumer rapidement l’ensemble de ce processus qui va de la « phase autistique » à la séparation-individuation réussie avec l’acquisition de la notion de la permanence de l’objet libidinal, M. Malher rappelle les éléments suivants :

 

La première étape dans le passage de la phase autistique à la phase symbiotique est l’investissement du « principe maternant » (perception, acceptation apparente des soins attentifs secourables venant du partenaire humain). Ce passage n’implique pas encore la différenciation de l’objet maternel comme représentation psychique différente de celle du self.

 

Lorsque la mère est source de satisfaction, le nourrisson lui répond positivement. Lorsque les tensions corporelles et les manipulations maternelles provoquent douleur et déplaisir, le nourrisson les traite comme il traite les stimuli nocifs en général : il opère un retrait, tente de les expulser, de les éliminer.

 

Les îlots mnésiques marqués de l’empreinte des stimuli « agréable-bon » ou « désagréable-mauvais » ne sont pas encore attribués ni au self ni au non-self.

 

L’expérience répétée d’une bonne source extérieure de satisfaction des besoins qui le soulage d’une mauvaise tension intérieure le conduit progressivement à une vague distinction entre le self et le non-self.

 

Il semble y avoir là un début de formation d’images partielles éparses de l’objet et aussi d’images partielles du corps propre. Les images du self sont dotées des mêmes qualités essentiellement « bonnes » ou « mauvaises » que les images partielles éparses de la mère.

 

Au cours du développement normal ultérieur, on assiste à l’unification des images partielles d’objets et du self, et à la démarcation en une représentation unifiée de l’objet et une représentation unifiée du self.

 

L’intégration durable par laquelle sont réunies et synthétisées les images maternelles « bonne » et « mauvaise » n’est pas réalisée au stade symbiotique de la relation mère-enfant et n’est pas achevée non plus au cours des 18 mois suivants de la vie, pendant la phase de séparation-individuation. Mais, au cours de cette époque et de la phase de latence, il en arrive à établir la permanence de l’objet et à accepter de plus en plus le principe de réalité.

 

 

La théorie symbiotique de la psychose infantile.

 

Pour M. Malher, dans la psychose infantile, la phase de l’évolution extra-utérine que constitue la relation symbiotique est soit gravement perturbée, soit manquante. C’est, pour elle, le trouble qui constitue le noyau de la psychose de l’enfant aussi bien que de l’adolescent ou de l’adulte.

 

Dans cette perspective, le trouble central dans le cas de la psychose infantile est une déficience ou un défaut dans l’utilisation intrapsychique par l’enfant du partenaire maternant pendant la phase symbiotique.

 

De façon conséquente, l’enfant, dans ce cas, ne peut internaliser la représentation de l’objet maternant (se représenter psychiquement cet objet) pour une polarisation (pour différencier progressivement son moi de la représentation de cet objet vers lequel il se retournera). Sans cette internalisation, la différenciation du self de la fusion et de la confusion avec l’objet partiel ne peut s’effectuer. C’est cette absence d’individuation qui se trouve au cœur de la psychose : pour Margareth Malher, il semble manquer au nourrisson psychotique la capacité de percevoir l’agent maternant, de s’en servir pour maintenir son homéostasie. Par la suite, il lui est impossible de s’en libérer.

 

Margareth Malher parle ici de déficience, dans une conception particulière qui intègre la relation mère-enfant et ses vicissitudes et non dans une conception purement physiologique.

Elle mettra ensuite en évidence l’aspect défensif des processus décelables dans les psychoses.

 

Elle décrit dans un premier temps le développement perturbé du nourrisson pré-psychotique en prenant comme base sa description au développement normal.

 

Dans cette description, elle évoque :

 

* une déficience de la signalisation réciproque entre le nourrisson et sa mère à la phase symbiotique.

Celle-ci est, pour M. Malher, la condition la plus importante d’une symbiose normale et, dans les circonstances normales, elle évolue vers une communication verbale réciproque.

 

* les déficiences du moi et la distorsion du sentiment d’identité.

 

 

Le trait dominant de la psychose infantile est l’inachèvement de l’individuation, c’est-à-dire du sentiment d’identité individuelle.

 

En premier lieu, le commencement du sentiment d’identité individuel et de la séparation de l’objet se trouve médiatisé par les sensations corporelles dont le schéma corporel, investissement libidinal du corps en ses parties centrales et périphériques, en est le noyau.

 

Le nourrisson « prépsychotique », lui, montre un défaut de structuration de ce « Moi-corps ».

 

Margareth Malher insiste sur l’idée selon laquelle ce qui contribue de façon importante et immédiate au développement du schéma corporel est représenté par l’ensemble des expériences kinesthésiques et sensorielles dans la situation de nourrissage.

 

Ultérieurement seulement le moi lui-même en formation réalise l’intégration des sentiments corporels et des fantasmes inconscients au sujet du corps propre et surtout de son contenu avec les données visuelles, auditives et kinesthésiques qui s’y rattachent.

 

Le premier degré d’intégration du sentiment d’identité représenté par le schéma corporel est ainsi tributaire de la qualité du nourrissage et du maternage dans son ensemble.

 

Les processus de perception orientés vers la recherche de l’objet de satisfaction des besoins, fortement investi d’énergie libidinale médiatisent le chemin qui conduit à l’individuation. La perception des processus internes, rattachés à la nourriture et au contact, complétée plus tard par la perception à distance, forment la base des représentations du corps comme schéma corporel. Tout cela constitue le noyau de l’idée du Je, le centre autour duquel se cristallisent, se structurent et s’organisent les traces mnésiques, les sentiments et les idées se rapportant au self. Ceux-ci sont graduellement différenciés des représentations intra-psychiques du monde objectal.

 

Elle insiste alors que l’idée que des troubles sérieux, permanents ou transitoires, du sentiment d’identité chez les sujets de tout âge ont pour cause des changements massifs d’investissement du processus régulatoire compliqué qui permet le maintien d’une synthèse équilibrée entre les images centrales du self, les frontières du corps propre, les représentations du self et les représentations d’objet, ces deux dernières clairement distinctes les unes des autres.

 

Le processus schizophrénique chez l’enfant aurait pour cause des changements physiologiques sous forme d’« agressivisations » survenant dans le schéma corporel. Ceux-ci peuvent surgir d’une relation mère-nourrisson insatisfaisante et avoir pour conséquence une « fragilité » du moi.

 

(Il peut s’agir de toutes autres causes soit entraînant directement une surcharge de tension interne, liée, par exemple, à une maladie grave de l’enfant ou à des traumatismes corporels, soit directement liée à une carence de soins, en tout cas liées à un équilibre perturbé entre les tensions d’une part et le para-excitations et les gratifications d’autre part).

 

L’ensemble des représentations de son propre corps, son schéma corporel a une importance fondamentale pour le développement ultérieur du moi de l’enfant.

 

(A ce niveau de ses travaux, M. Malher se réfère à ceux de Winnicott, son contemporain, dont l’apport sera développé dans un cours prochain).

 

Lors de la réalisation maturative de la locomotion, celle-ci permet à l’enfant de se séparer, de s’éloigner physiquement de sa mère, alors qu’émotionnellement il peut se trouver loin d’y être préparé.

 

La conscience d’un fonctionnement indépendant peut provoquer chez des jeunes enfants vulnérables qui commencent à marcher une angoisse intense : ils tentent désespérément de dénier le fait de la séparation et en même temps luttent contre le ré-engloutissement par une opposition croissante au partenaire adulte.

 

Le stade négativiste normal de l’enfant qui commence à marcher constitue la réaction de comportement qui va de pair avec le processus d’individuation ou de désengagement de la symbiose mère-enfant. L’angoisse de ré-engloutissement menace une différenciation individuelle récente, à peine amorcée et qui doit être défendue.

 

Moins la phase symbiotique aura été satisfaisante et plus elle aura été parasitaire (c’est-à-dire de nature réciproquement dommageable, en opposition avec l’usage en biologie du terme de symbiose qui implique alors une relation présentant un bénéfice réciproque), plus cette réaction négativiste aura besoin d’être prédominante et exagérée. Un moi qui est incapable de fonctionner séparément du partenaire symbiotique tente de se replonger dans le fantasme délirant de l’unité avec la mère toute-puissante, en la contraignant à fonctionner comme extension du self. Naturellement, cette tentative ne réussit habituellement pas à enrayer le processus d’aliénation de la réalité.

 

Importance cruciale du « maternage » et perception du « principe maternant » comme essentiellement bon.

 

La réalité du nourrisson, sa familiarité au monde, se réalise par sa découverte, au cours du stade symbiotique de l’unité duelle, du fait que ses besoins reçoivent satisfaction de son partenaire symbiotique à l’extérieur de son « self ». A la lumière de la déficience centrale de l’enfant psychotique (selon elle), à savoir son incapacité à se servir de la mère pour en arriver au sens le plus primaire de réalité, l’enfant psychotique n’atteint jamais un sens stable de la réalité extérieure.

 

Controverse entre causalité (étiologie) constitutionnelle (nature) et causalité expérimentale (éducation).

 

Pour M. Malher, l’incapacité primaire de l’enfant psychotique à faire servir (à percevoir) à son homéostasie l’agent maternant catalyseur, étiologie première de la psychose, est innée ou acquise dans les tous premiers jours ou toutes premières semaines de la vie extra-utérine. En d’autres termes, il semble y avoir présence d’une déficience prédisposante. Pour elle, il faut aborder ces problèmes en termes de séries complémentaires :

 

    a) s’il se produit, au cours de la phase très vulnérable de l’autisme et de la symbiose, un traumatisme très grave, accumulé et atterrant chez un enfant de constitution relativement forte, il peut en résulter une psychose, et l’objet humain de l’univers extérieur perd son pouvoir de catalyseur, d’amortissage et de polarisation dans l’évolution intrapsychique et l’« éclosion » du nourrisson.

 

   b) d’un autre côté, chez des nourrissons constitutionnellement prédisposés hypersensibles ou vulnérables, le maternage normal ne suffit pas à remédier au défaut inné d’utilisation catalysante, amortissante et polarisatrice de l’objet humain d’amour ou de l’agent maternant de l’univers extérieur, pour l’évolution intrapsychique et la différenciation.

 

Elle cite des auteurs qui avancent l’hypothèse qu’il existe peut-être, à l’origine de cette « conduite hallucinatoire négative » décrite dans l’autisme infantile précoce, de graves incompatibilités physiologiques intra-utérines entre le fœtus et sa mère. Ces enfants ont apparemment réussi à construire ou à maintenir et à solidifier leur barrière hallucinatoire originelle massive et négative de défense contre les stimuli (barrière de la « phase autistique normale » des premières semaines de vie), en réaction au choc de l’univers extérieur.

 

Elle discute donc – sans bien entendu pouvoir y apporter des réponses, mais en avançant des hypothèses intéressantes à prendre en compte – pour savoir si cette conduite constitue une attitude d’évitement acquise, spécifique et active face à la mère. Pour elle, s’il s’agit d’une défense psychosomatique acquise, elle est de toute façon si archaïque et se développe si tôt qu’on ne peut discerner son contenu et son sens psychiques.

 

 

Substitutions psychotiques à la relation objectale et défense. (Selon Margareth Malher).

 

Le nourrisson psychotique ne pouvant utiliser sa mère de la manière habituelle, il lui faut avoir recours à d’autres moyens pour se maintenir e vie. Ces mécanismes substitutifs diffèrent des relations d’objet aussi bien que des mécanismes de défenses propres à tout autre groupe d’enfants. L’enfant psychotique a recours, selon diverses combinaisons et dosages, à deux mécanismes principaux, essentiellement autistiques et symbiotiques : perte de la dimension animée, dédifférenciation, dévitalisation, et fusion et défusion. Il ne s’agit pas de mécanismes de défense à proprement parler mais de « mécanismes de maintien ». « Il y a chez l’enfant psychotique confusion plus ou moins manifeste, sinon échec total, de la distinction, de la discrimination affective entre l’environnement objectal humain et l’environnement inanimé ».

 

Dans le cas du syndrome symbiotique, il se produit une refonte des représentations de la mère et du self en une unité toute-puissante délirante mère-enfant.

 

Le prototype de cette personnation psychotique est l’utilisation par l’enfant psychotique de la main maternelle comme extension mécanique non individualisée de son propre corps, en une croyance apparente que tout ce qu’il pense est automatiquement et simultanément pensé aussi par la mère.

 

Margareth Malher souligne l’actualité du critère, essentiel pour Freud, de la coupure psychotique d’avec la réalité, c’est-à-dire le retrait du monde libidinal humain. Elle estime les psychanalystes souvent à même de reconstruire la lutte prépsychotique, les efforts désespérés pour s’accrocher, tenir au monde objectal humain. Ce qu’elle nomme « les relations psychotiques d’objet » et les « défenses psychotiques » sont pour elle des tentatives de restitution d’un moi rudimentaire ou fragmenté au service de la survie, aucun être humain ne pouvant vivre dans un état absolument anobjectal.

 

Dans le cas d’autisme précoce, M. Malher pense que la détresse organismique qui affecte l’organisme à un stade extrêmement précoce de la maturité est d’une telle intensité qu’elle détruit certainement la perception de la mère comme fonctionnant à son profit. La mère en tant que représentation du monde extérieur ne paraît pas être perçue du tout par l’enfant. Elle semble n’avoir aucune existence en tant que « pôle vivant d’orientation » dans l’univers de la réalité. Ni le self ni même le corps propre ne semblent distincts des objets inanimés de l’environnement.

 

La régression ne se fait donc à une phase normale du développement humain.

 

Comme pour la psychose symbiotique, il s’agirait de distorsions psychopathologiques de phases normales de développement du moi et de ses fonctions au sein de la première relation mère-enfant.

 

Dans l’autisme infantile précoce, il semble donc y avoir un manque inné, primaire, ou une perte de la différenciation primordiale entre la matière vivante et inerte. Au contraire, dans le cas de la psychose symbiotique, l’enfant a quelque conscience du principe maternant. Il oscille toutefois entre le désir de fusion au « bon » objet partiel et la nécessité d’éviter le ré-engloutissement avec l’objet partiel « tout mauvais ». Ses mécanismes de maintien, quoique moins archaïques, sont beaucoup plus bizarres, variés et empreints de panique.

 

Pour ni l’un ni l’autre de ces syndromes on ne peut parler de vraie relation d’objet (nécessaire à la structuration du moi).

 

Dans la suite de son ouvrage, M. Malher donne différentes notes diagnostiques et divers exemples cliniques.

 

 

Quelques notes :

 

Le nourrisson autistique s’avère incapable d’utiliser les fonctions du moi auxiliaire exécutif du partenaire symbiotique – la mère - pour s’orienter dans le monde extérieur et intérieur. Les modalités les plus fondamentales de la matière lui demeurent dès lors inintelligibles. Il doit alors créer des modalités substitutives d’orientation de manière à affronter les stimuli internes et externes.

 

Pour commencer, il lui faut créer, pour essayer de s’y enfermer, un univers propre, petit, et complètement restreint. Il présente un déni obsessionnel de préservation de l’uniformité, une préoccupation stéréotypée pour quelques objets inanimés ou pour des actions, les seuls envers lesquels il montre quelque signe d’attachement émotionnel.

 

Elle évoque chez les enfants autistes :

 

   • le déni hallucinatoire de la perception,

 

   • la lutte spectaculaire contre toute demande de contact humain ou social,

 

   • l’apparente réussite des enfants autistes à construire, maintenir et solidifier leur barrière originaire massive, négative et hallucinatoire de défense contre les stimuli pour se protéger du choc du monde extérieur,

 

   • l’érotisation insuffisante de la surface corporelle et des orifices,

 

   • les conduites auto-agressives mutilantes semblant au service d’un investissement frontière d’une économie libidinale distordue et brouillée, constituant une tentative pathologique de se sentir vivant et entier.

 

 

Et chez les enfants symbiotiques des portraits infiniment plus nuancés, complexes et variable :

 

   • une sensitivité inhabituelle,

   

   • une irrégularité de croissance,

 

   • une vulnérabilité frappante du moi en voie d’éclosion à toute frustration minime,

 

   • dans leur anamnèse, la fréquence des réactions extrêmes aux échecs mineurs et, de façon concomitante un traumatisme complémentaire de leur environnement, tel un changement d’attitude brusque, quoique inconscient chez un des parents se produisant au moment où s’amorce la période de séparation-individuation,

 

   • la brusque coupure de la réalité est provoquée alors par ce qui s’avère être essentiellement une angoisse de séparation et d’annihilation en réponse à des expériences courantes telles l’inscription à l’école maternelle, l’hospitalisation impliquant une séparation physique d’avec la mère, la naissance d’un autre enfant …

 

Elle donne bien d’autres détails du comportement et de l’anamnèse des enfants du groupe symbiotique.

 

Par exemple, elle note que :

 

Dans le cas de psychose symbiotique infantile, la représentation psychique de la mère demeure, où se trouve régressivement fusionnée au self et participe à l’illusion de toute-puissance de l’enfant ;

 

Aussitôt que la différenciation du moi et le développement psychosexuel confronte et affronte l’enfant à une certaine mesure de séparation et d’indépendance de la mère, le délire de toute-puissance symbiotique s’en trouve menacé et il se produit de profondes réactions de panique ;

 

L’angoisse de séparation écrase le moi fragile de l’enfant psychotique symbiotique. Cliniquement, ces enfants présentent tous les signes d’une profonde angoisse affective. Des productions restitutives (délires somatiques, hallucination de réunion à l’image maternelle toute-puissante…) servant à maintenir ou à restaurer la fusion narcissique, le délire d’unité avec la mère ou le père suivent ces réactions de profonde panique.

 

Pour M. Malher, la poussée maturative est « pré ordonnée » mettant alors le jeune enfant symbiotique dans des positions de vulnérabilité accrue. La structure fragile du moi de ces enfants se fragmente sous la poussée de ce rythme de croissance rapide des fonctions autonomes du système nerveux central alors même que leur différenciation émotionnelle par rapport à leur mère ne parvient pas à se faire, qu’ils ne parviennent pas à dépasser le stade symbiotique.

L’éclosion de la psychose symbiotique survient dans ce contexte.

 

Dans le cours ultérieur de ses travaux et des tentatives thérapeutiques, elle en vient à relativiser la distinction nette entre la psychose autistique et la psychose symbiotique. Elle propose alors une classification de la psychose infantile en termes de prédominance de l’une ou l’autre des organisations psychotiques primitives de défense, c’est-à-dire selon que dominent les défenses autistiques ou symbiotiques.

 

On se trouve donc face à un large spectre de traits autistiques et symbiotiques à l’intérieur du syndrome psychotique infantile.

 

A l’âge de trois ans et demi / quatre ans, les deux schèmes, autistiques et symbiotiques, semblent présents dans la majorité des cas et l’anamnèse révèle généralement plusieurs progressions et régressions, quoique faibles parfois, aux premiers stades de la relation préobjectale, c’est-à-dire aux phases autistiques et symbiotiques.

 

A une extrémité de l’échelle se placent les cas dont l’anamnèse a clairement montré la prédominance de l’autisme.

 

A l’autre extrémité du spectre se trouvent les cas où prédomine le syndrome de psychose symbiotique : la mère décrit les premières années de l’enfant comme celles d’un enfant normal, sans déviations notables dans le développement et avec ce qui lui semble être une capacité de réponse affectueuse. Ces enfants, au cours de leurs deuxième et troisième années, vivent une désorganisation plus dramatique, accompagnée de perte de fonctions, telle que détérioration du discours, souvent reliée ou imputée à des évènements comme une brève séparation normale d’avec l’objet d’amour. Toutefois, le tableau entier peut se trouver masqué par une organisation défensive autistique secondaire, impliquant le mutisme et le rejet de l’environnement humain.

 

 

Thérapies des psychoses selon Margareth Malher.

 

Rappelons qu’elle se situe surtout dans la lignée d’Anna Freud qui, elle, différencie des lignes de développement, des stades et, en opposition à Mélanie Klein prône une fonction éducative dévolue au thérapeute…

 

Pour elle, l’enfant ne peut pas progresser s’il n’est pas passé par une phase symbiotique satisfaisante.

 

La première condition pour le traitement d’un enfant autistique est l’établissement progressif d’un contact avec l’objet humain. Le principe du traitement de l’enfant qui souffre d’une psychose symbiotique est de lui faire retrouver une expérience symbiotique satisfaisante.

 

Chez l’enfant autistique, il s’agit de « séduire » progressivement l’enfant à travers une relation vers l’extérieur, vers l’objet.

 

Chez l’enfant à tendance symbiotique surtout, vu ses craintes extrêmes d’intrusion, il s’agit de proposer une expérience symbiotique correctrice qui ne soit pas ressentie comme une attaque.

 

En ce qui concerne l’enfant autistique, il s’agira de le sortir de sa coque autistique, notamment par des techniques employant des activités rythmiques, de la musique et des stimulations qui lui offrent un plaisir et cela doit se faire notamment à travers l’emploi d’objets inanimés tout en se rappelant que le contact corporel peut être difficile à supporter pour ces enfants.

 

Il est important de reconnaître que, chez l’enfant autistique, il est dangereux de le forcer trop rapidement dans des contacts sociaux parce que lors des premiers développements d’un attachement symbiotique, la moindre frustration peut l’entraîner dans des réactions catatoniques et dans des processus psychotiques aigus.

 

Dans les cas de psychose symbiotique, il faut éviter des situations de séparation trop brusque et ne pas entraîner l’enfant dans des activités de groupe, celui-ci ne supportant guère de devoir partager son partenaire symbiotique avec d’autres.

 

L’enfant souffrant de psychose symbiotique devra peu à peu prendre connaissance et investir la réalité alors qu’il est soutenu par des « intrusions » de forces du moi venant du thérapeute et de la mère. Il est essentiel, selon M. Malher, pour arriver à trouver une coordination entre ce qui se passe dans le traitement et à la maison, que la mère participe au traitement.

 

 

Thérapie par la régression et par la restauration des phases manquées.

 

L’enfant devra progresser à travers les stades qui ont été manqués ou qui ont été insatisfaisants.

Cette restauration des phases antérieures comprend surtout l’expérience de gratifications dans la fusion symbiotique, gratifications qui solliciteront les zones érogènes et qui permettront dès lors l’établissement progressif d’un investissement libidinal de la périphérie du corps. Le thérapeute, jouant ici le rôle d’un Moi auxiliaire, aidera l’enfant à passer par ces phases de développement, encourageant une régression temporaire. La théorie sous-jacente est ici que cette restauration de phases infantiles manquées permet de dépasser et de maîtriser des expériences de frustration liées à cette phase particulière.

 

 

Le thérapeute comme Moi-auxiliaire ; substitution des fonctions du Moi déficientes chez l’enfant.

 

Le thérapeute va prêter au jeune patient les fonctions du Moi qui sont déficientes ; il s’offre comme Moi auxiliaire, protégeant l’enfant contre les stimulations excessives ou contre des activités auto-agressives.

 

Le thérapeute fournit à l’enfant les fonctions cognitives qui lui font défaut ; par exemple, le thérapeute s’offrira comme moi substitutif pour enseigner peu à peu la notion du temps.

 

Le thérapeute cherche là à renforcer le Moi par des injections de son propre fonctionnement moïque. Il y a là un biais à la fois éducatif, organisateur et de soutien pour l’enfant, l’emploi de la réassurance contre une expérience très angoissante fait partie de cette approche.

 

 

Le thérapeute comme substitut de la mère et comme partenaire symbiotique.

 

Le thérapeute s’offre comme partenaire symbiotique, cherchant à entraîner l’enfant dans une expérience symbiotique gratifiante et cela sur un mode anaclitique. Il offre toute une série de jeux où il se propose comme l’extension toute-puissante de l’enfant, en offrant entre autre son corps pour que l’enfant puisse y trouver le soutien ou la source de gratification nécessaire.

 

Il s’agit donc d’une thérapie par la régression : le thérapeute essaie de faire revivre de façon plus gratifiante des expériences libidinales précoces. C’est également une thérapie de substitution où le thérapeute se substitue au fonctionnement moïque déficient de l’enfant et se substitue à la mère comme partenaire symbiotique.

 

Finalement, il y a une visée éducative dans cette approche.

 

 

La participation de la mère au traitement (le modèle tripartite).

 

La mère participe aux séances, ce qui permet au thérapeute d’être aidé au début dans son souci de déchiffrage des tentatives de communication de l’enfant. Cette présence permet également à la mère de s’améliorer dans son contact avec l’enfant.

 

Elle est reçue également régulièrement par une assistante sociale ou un psychiatre.

 

Cette organisation permet de diluer les effets du transfert : la mère peut alors plus facilement garder une relation positive et peu ambivalente vis-à-vis du thérapeute, tandis que les éléments agressifs et ambivalents sont « dérivés » sur le tiers. Cette organisation permet également d’aider la mère à redevenir le partenaire symbiotique de son enfant.

 

 

Les stades du traitement :

 

1. La phase d’introduction.

 

Le thérapeute cherche à établir une forme de contact et de communication primitive avec l’enfant psychotique. Cette approche est essentiellement caractérisée par son style non intrusif et s’opère à travers l’effet positif et rassurant d’une présence attentive. Peu à peu le thérapeute pourra rencontrer plus activement les besoins de l’enfant, notamment au niveau de la prise de nourriture. Dans cette première approche, M. Malher recommande des séances de musique, des activités rythmiques, des activités à deux. Sans aucune interprétation.

 

2. La deuxième phase.

 

La mère est entraînée dans le même genre de relation avec l’enfant. Il s’agit d’instaurer chez l’enfant une découverte très progressive de sa mère, avec l’aide du thérapeute. De même que le thérapeute se propose comme principe maternant pour l’enfant, le thérapeute le devient pour la mère, lui permettant d’exprimer ses ressources psychiques et de retrouver un contact avec son enfant. L’enfant se mettra à exprimer des besoins symbiotiques très intenses, et c’est à ce moment que la mère doit être soutenue, car elle risque d’y réagir par des réactions d’évitement.

 

3. La phase de traitement proprement dit.

 

Alors que la phase d’introduction mettait l’accent sur le rétablissement ou le commencement de la relation d’objet, dans la phase de traitement à proprement parler, on aide l’enfant à revivre, puis à comprendre les expériences traumatiques qui ont troublé son développement. Le thérapeute fera ici le pont entre les préoccupations psychotiques et le réinvestissement de la mère, et c’est à travers l’interprétation et la compréhension du fétiche psychotique que va se dessiner un investissement plus stable de la mère elle-même. Les interprétations portent surtout sur les angoisses de perte d’objet en relation avec les fantasmes agressifs et les situations traumatiques antérieures, ainsi que sur les angoisses de fusion.

Il s’agit donc d’une psychothérapie où l’interprétation intervient sous une forme relativement modeste. Il s’agit d’une psychothérapie à dominante correctrice. Comme dans l’ensemble de la théorisation de Margareth Malher, le fantasme est peu exploré.

 

Les résultats constatables dans ses exposés cliniques sont positifs dans le domaine du développement : l’enfant abandonne vite ses défenses autistiques ; l’établissement d’une relation symbiotique à la mère et au thérapeute s’accompagne généralement d’un développement remarquable des fonctions du moi (langage par exemple) ; l’auto-agression physique diminue grâce à un investissement libidinal plus grand de la représentation du corps.

 

Autour de cette expérience symbiotique satisfaisante sont revécues les expériences traumatiques passées qui sont interprétées. Simultanément, un des effets les plus importants du traitement est l’organisation d’une différenciation entre le self et le non-self grâce à l’établissement d’un ancrage symbiotique solide.

 

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D.W. WINNICOTT

V. D. W. Winnicott                                                                   Dr Vincent Perdigon.

 

Parmi tout ce que l’œuvre de Winnicott a apporté à la psychanalyse, il y a entre autre ceci : ses recherches et ses écrits sur l’acquisition du sens de la réalité chez l’enfant. (Articles principaux réunis dans Jeu et Réalité).

 

C’est par le Jeu que l’on accède à la réalité et c’est par là que nous allons commencer.

 

* Historique : l’Homme.

 

Winnicott est né en 1896 et mort en 1976. Ceux qui l’ont connu (M. Khan) parlent de « l’extraordinaire impression de détente physique et de concentration de l’esprit qui émanaient de sa personne ».

 

Il était, avant de se tourner vers la psychanalyse, pédiatre de profession.

 

« Winnicott écoutait de tout son corps et son regard se portait sur vous sans chercher à vous pénétrer, avec un mélange d’incrédulité et d’acquiescement total. La qualité de sa présence si particulière lui permettait d’être autant de personnes différentes face à des gens différents, si bien que tous ceux qui l’ont rencontré ont leur Winnicott à « eux ». Il n’a jamais trahi ce que l’autre imaginait de lui en affirmant excessivement son propre mode d’existence ; mais il a toujours su –inexorablement - rester Winnicott ». (M. Khan). C’est un analyste « facile » à lire (c’est-à-dire qu’on le comprend) et sa lecture donne souvent un sentiment de plaisir, de simplicité, voire de gaieté.

 

C’était avant tout un homme libre, farouchement antidogmatique et, très tôt, s’est manifestée son opposition à toute forme d’orthodoxie. Pour lui, la recherche analytique implique toujours de la part de l’analyste un effort pour aller plus loin dans son analyse personnelle que son analyste à lui.

 

C’est un esprit indépendant : « Je n’ai jamais pu suivre quelqu’un d’autre, pas même Freud. Mais Freud est facile à critiquer car il a toujours été prêt à se critiquer lui-même ».

 

 

* Historique : Winnicott et la psychanalyse.

 

Au moment où il commence à entrer dans le monde de l’analyse, il est donc à Londres dans cette période où la polémique entre Anna Freud et Mélanie Klein commence à prendre de l’ampleur.

 

Mélanie Klein dans ses travaux privilégie de plus en plus les fantasmes inconscients de l’enfant en particulier dans le déterminisme des névroses et des psychoses (Œdipe précoce, fantasmes sadiques, cannibaliques, attaques destructrices du sein, sentiments d’envie envers le bon sein générateur de rage et d’impuissance …). Anna Freud cherche plutôt à confirmer par l’observation directe de l’enfant les théories de Freud.

Donc, à ce moment là, cette polémique a le mérite de brasser un grand nombre d’idées, ce qui explique en partie l’importance des psychanalystes anglais vis-à-vis des travaux sur l’enfant et la psychose.

 

Winnicott, pour sa part, va toujours se situer en marge de ces deux courants – qui l’influenceront bien sûr - et saura toujours éviter de choisir un camp contre l’autre.

 

Ce qui va l’intéresser, lui, très vite, c’est de tenter de comprendre – à sa manière et compte tenu de son expérience de pédiatre recevant des enfants et des parents pour toutes sortes de difficultés (somatiques et psychologiques) – ce qui se passe pour l’enfant avant cette période privilégiée par la théorie analytique qui est le complexe d’Œdipe.

 

Et encore plus précisément : « Quelque chose d’important se passe-t-il avant l’âge de six mois ? ».

 

Il va répondre, et démontrer, que ce qui se passe avant six mois n’est rien de moins que la mise en place des fondements de la santé mentale.

 

Mélanie Klein « plaque » en quelque sorte des fantasmes – qu’elle nomme et identifie à partir de ses thérapies d’enfant. Winnicott va s’attacher beaucoup plus à étudier le développement de l’enfant sans idées préconçues.

D’emblée, il reproche à M. Klein de ne pas accorder assez d’importance au facteur externe (c’est-à-dire l’environnement de l’enfant – sa mère bien sûr).

 

« Cette chose qu’on appelle un nourrisson, ça n’existe pas ».

 

Pour résumer, et pour situer dans le cadre de la psychanalyse la place particulière de Winnicott par rapport aux précurseurs (FREUD, ABRAHAM, FERENCZI, M. KLEIN) ont peut dire que :

- Jusque-là, les précurseurs qui commencent à appliquer la psychanalyse à l’enfant ont tendance à le faire à partir des concepts psychanalytiques nés du travail de cure avec les adultes.

Ils ont tendance, et c’est très clair surtout en ce qui concerne M. Klein – à attribuer à l’enfant des modes de pensée, des fantasmes similaires aux fantasmes des adultes, fantasmes beaucoup plus « crus ». Mais qui dit fantasme, dit capacité d’une vie imaginative, représentative.

 

- la démarche de Winnicott ne récuse pas l’héritage des précurseurs (de Freud en particulier, de tout ce qui s’est déjà élaboré de fondamental concernant la vie pulsionnelle, l’angoisse, le complexe d’Œdipe…) mais cette démarche va s’attacher plutôt à observer un bébé « en situation », en « expérience » de relation, et à partir de là, va essayer de comprendre comment se développe un enfant. Il va montrer que ce développement ne dépend pas seulement des différentes étapes de progression de la vie instinctuelle : il n’y a pas que le langage des pulsions (stade oral, anal, phallique). Il y a aussi la relation.

 

 

Remarque sur la distinction entre la réalité psychique et la réalité externe :

 

Freud élabore une première théorie du traumatisme où celui-ci est lié à des facteurs externes.

Puis en 1897, il effectue un revirement total : l’importance des fantasmes, de la réalité psychique, au sens de réalité des désirs inconscients vient au premier plan. (Il arrive que l’on soit victime d’abus sexuel. Il n’en reste pas moins que dans ces cas, la réalité externe a rencontré un désir inconscient (qui n’est pas celui d’être abusé !)).

 

A partir de là, naît vraiment la psychanalyse dans la mesure où elle identifie mieux la dimension selon laquelle tout individu vient au monde avec d’emblée ses propres notions pulsionnelles qu’il va avoir à assumer et qu’il sera parfois obligé de refouler. Prennent alors naissance le désir inconscient et une réalité, la réalité psychique, autre que la seule réalité externe qui viendrait nous modeler, nous façonner.

 

Winnicott : « La théorie que je porte en moi, qui est devenue partie de moi-même et qui est ma seule compagne lorsque je rencontre un cas nouveau, c’est la théorie du développement affectif de l’individu qui comporte pour moi l’histoire complexe de la relation individuelle de l’enfant à son environnement particulier ».

 

Il met alors en évidence la notion de dépendance.

 

L’enfant est dépendant, à sa naissance, de son environnement. En fonction de la façon selon laquelle son environnement se comporte vis-à-vis de lui, mais en fonction aussi de ses propres ressources personnelles avec lesquelles il vient au monde, il va progresser peu à peu du stade de la dépendance absolue, à une dépendance relative, et dans le meilleur des cas, à l’indépendance (laquelle reste une conception toute relative…). L’enfant est dépendant de son environnement pour pouvoir satisfaire ses pulsions, les premières étant représentées par ses besoins physiologiques – sur lesquels les pulsions s’étayent – qu’il ne peut satisfaire seul.

 

Winnicott ajoute que la seule satisfaction pulsionnelle ne suffit pas pour un bon développement : ce que le bébé réclame aussi c’est une expérience vivante. Pour s’expliquer, il va opposer ce qu’il appellera les besoins du moi et les besoins du ça.

 

Lors de la relation primitive entre le nourrisson et sa mère (relation symbiotique ou homéostatique), ce qui importe ce n’est pas d’abord la satisfaction des pulsions orales (répondre aux besoins du ça). Ce qui est nécessaire au bébé – et que toutes les mères suffisamment bonnes font naturellement sans n’avoir jamais lu aucun livre - c’est la fonction de « couverture » du fonctionnement du moi trop immature, pas encore suffisamment organisé, que la mère assure au bébé. Du fait de cette immaturité du Moi de tout nouveau-né, il faut se représenter un bébé non pas seulement comme un être qui a faim et qui a besoin d’être satisfait, mais comme « un être immature, qui est tout le temps au bord d’une angoisse dont nous ne pouvons pas avoir idée ».

 

Du point de vue du développement du Moi, il s’agit bien là d’un besoin d’une espèce de « couverture » pour faire face à l’ensemble de ces angoisses « impensables » qui assaillent tout nouveau-né.

Cette couverture est représentée par ce qu’il appelle le holding, le handling et que l’on résume par l’ensemble des soins maternels. Sans cette fonction de couverture du Moi immature de l’enfant, toute satisfaction pulsionnelle présente le danger de devenir l’équivalent d’une séduction ou d’un traumatisme. La mère seulement préoccupée de « bien satisfaire » son nourrisson, en réalité le « viole », au sens qu’elle est fatalement ressentie comme trop intrusive. (On pourrait dire : trop « en prise directe »).

 

Dans cette première phase – celle du narcissisme primaire – où l’enfant vit pendant un temps en état de fusion avec sa mère (la dyade narcissique), le monde extérieur n’existe pas en tant que tel pour l’enfant. Cela signifie que la structure psychique de l’enfant inclut l’expérience vécue qu’il a de sa mère telle qu’elle est dans sa réalité personnelle. L’enfant « prend pension » dans les bras de sa mère et il la vit comme partie de lui. (Il « délire » si on regarde de l’extérieur).

 

Ce n’est pas pour autant l’environnement qui fait « pousser », grandir, l’enfant. Celui-ci contient en lui ses propres forces de maturation – innées - : l’environnement accueille et soutient les tendances spontanées de l’enfant vers la maturation. Il laisse se déployer à leur rythme et selon leurs modalités propres les forces de vie vers la maturation ; (« Confiance » dans le nourrisson).

 

Le bon développement du moi, chez l’enfant, dépend donc de la qualité des soins maternels, et cette dépendance est absolue au départ. Ce qui spécifie la dépendance absolue, c’est l’incapacité du bébé d’en prendre conscience.

 

 

La non-intégration primaire, l’intégration et la peur de la désintégration.

 

Ce qui existe au départ, c’est un état de non-intégration primaire. Le nourrisson ne se différencie pas de son environnement. Il est le lieu d’expériences multiples, fragmentaires, dispersées. Ces premières expériences sont d’abord sensorielles et motrices. Ce qui va devenir un Je –une personne avec le sentiment d’identité propre - n’est qu’une somme de sensations dispersées, non reliées entre elles.

Le Moi du nourrisson se caractérise par un état de non intégration.

 

 

Le Self.

 

C’est une notion peu utilisée en France.

 

Winnicott n’a jamais donné de définition précise du Self. Il répondrait néanmoins à la traductrice de son article « Le corps et le Self » : « A mon avis, le Self, qui n’est pas le Moi (Ego) est la personne qui est moi (une). C’est une totalité qui se fonde sur le déroulement des processus de maturation. Il est constitué par ces différentes parties qui se rassemblent au cours de ce processus ».

Au départ, le Self chez le bébé s’origine dans les gestes qui, périodiquement, expriment une pulsion spontanée. La source du self est dans le corps.

 

Autant le Moi est l’instance qui agit, construit, entre en relation avec le monde, autant le Self est cet élément isolé de la personnalité qui ne communique pas. En tant qu’instance isolée, permanente, durable, trace en quelque sorte du processus de maturation lui-même qui s’est (bien) déroulé, le Self représente ce sentiment de continuité de nous-mêmes, sur quoi s’étaye dans le continu, et sans qu’on y pense, le sentiment de notre identité.

(Si je me mets à penser qui suis-je ? Est-ce que moi, c’est vraiment moi ? etc …). (C’est dans l’isolement qu’on retrouve son self).

 

Le Soi est la notion française du Self. Racamier le définit ainsi : « Le Soi, c’est le sentiment du Moi. »

 

(Le sentiment du Moi : sentiment signifie qu’il s’agit d’une donnée vécue, concrète.) C’est ce qui appartient en propre à l’enfant au moment où il se vit non séparé de sa mère. (Il se vit non séparé mais dans la réalité, il est séparé quand même).

 

A l’origine donc, pour Winnicott, le fonctionnement mental n’est pas dissociable de l’ensemble des phénomènes qui se déroulent dans le corps et sont éprouvés par le bébé.

 

Le Self n’est pas localisable dans l’esprit (faux self). Il n’est pas non plus seulement corporel.

 

Winnicott tente (en tant que concept théorique) de nommer ce quelque chose qui donne le sentiment d’une continuité d’existence.

Ce sentiment est indispensable et l’on peut dire que des ruptures trop répétées représentent des traumatismes graves générateurs d’angoisses impensables.

 

 

* les angoisses impensables

* l’enfant séparé/non séparé

* les objets et phénomènes transitionnels

* la dépression originaire (ou psychotique)

 

 

Objets et phénomènes transitionnels.

 

C’est l’aspect théorique le plus connu de Winnicott (et parfois galvaudé : l’ours en peluche = objet transitionnel).

 

Il vaut mieux parler : des « phénomènes transitionnels » ; de la «transitionnalité » de la « zone intermédiaire » ….

 

On saisit là toute l’originalité de la pensée de Winnicott, fondée sur la notion de paradoxe.

 

Commençons quand même par « l’objet » : L’objet transitionnel, c’est le bout de tissu, de couverture, de drap, que vers l’âge de 6, 8, 10 mois le bébé utilise d’une façon particulière dans les moments où il est seul (manipulations diverses, caresses, odeur, etc …) et qui semble avoir une grande importance pour lui. Toutes les mères le savent et, naturellement, respectent cet attachement. (Il ne faut pas le laver…).

Il devient plus tard l’ours en peluche ou autre chose.

« Ce n’est pas l’objet qui est transitionnel ». « Je ne m’intéresse pas à l’objet utilisé mais à l’utilisation de l’objet ».

La question intéressante est celle de se demander comment l’enfant trouve cet objet.

C’est là que se situe le paradoxe.

 

 

L’objet trouvé – créé.

 

D’un côté, il y a un bébé avec le désir de sa mère (absente). D’un autre côté, il y a à disposition des « choses », des objets qui sont là, prêts à être trouvés.

« L’enfant crée l’objet qui est là, prêt à être trouvé, et il le crée précisément dans la mesure où il le trouve » (paradoxe).

 

Cf ce qui se passe dans la tétée :

   Le besoin de lait,

   Le sein présenté par la mère,

En présentant le sein et en s’adaptant au besoin de l’enfant, la mère rend possible chez l’enfant une expérience d’omnipotence et d’illusion : ce sein, c’est lui qui l’a fait venir, c’est lui qui l’a inventé.

Le sein réel vient se confondre avec le sein halluciné par l’enfant (souvenir de la bonne tétée, réinvestissement du souvenir, satisfaction hallucinatoire : il s’agit d’un phénomène peu durable mais qui correspond à la naissance de la vie psychique).

 

Tout l’intérêt des phénomènes transitionnels réside là : L’expérience d’illusion Une folie partagée

Du point de vue subjectif du bébé, il est lui-même le maître d’œuvre.

 

Ce paradoxe ne doit pas être résolu, il doit être toléré. C’est précisément parce que le bébé aura pu suffisamment vivre – en toute quiétude - cette illusion folle, qu’il pourra peu à peu accéder au sens de la réalité (désillusions progressives, épreuve de réalité).

 

Il y a un premier temps : l’objet progressivement créé ; Un deuxième temps : l’objet objectivement perçu (comme séparé de l’expérience subjective et donc de lui)

Il est important de ne pas exiger trop tôt du bébé qu’il fasse une distinction tranchée entre les deux.

 

Chez Winnicott, l’expérience de l’illusion est positive. Elle est la source de toutes les activités culturelles, artistiques, religieuses. Elle définit une « aire intermédiaire d’expérience qui n’est pas mise en question quant à son appartenance à la réalité intérieure ou extérieure ».

 

On voit que tout cela parle de séparation-individuation.

 

Les phénomènes transitionnels marquent la période de passage pour l’enfant d’un état où il se trouve et s’éprouve uni à la mère – sans perception d’une distinction entre lui et elle - et un autre état où il sera capable de la reconnaître séparée de lui. Entre les deux se placent les phénomènes transitionnels.

 

(Cf Mélanie Klein : position dépressive qui fait suite à la position schizo-paranoïde ; clivage initial bon/mauvais, projection au dehors du mauvais, introjection du bon, différenciation entre le dehors et le dedans, fantasmes sous-jacents ; vie psychique assez imagée très tôt ; puis prise de conscience que c’est la mère réelle qui frustre : reconnaissance de l’objet total et position dépressive (La haine vient de moi).)

 

Pour Mélanie Klein, l’aspect pulsionnel est au premier plan, les pulsions de vie et de mort qui existent dès le début expliquent la présence de fantasmes précoces.

 

Pour Winnicott, le trajet va de la pulsion au fantasme, du pouce dans la bouche (satisfaction orale immédiate) à l’ours en peluche. Winnicott ne nie pas la dimension pulsionnelle mais il met en évidence une dimension supplémentaire : l’être même de l’enfant – sa personne – son self – ses besoins du moi, c’est-à-dire son besoin d’emblée d’être reconnu aussi comme déjà une personne (un sujet) et pas seulement un objet dont il faut bien s’occuper. (« Le bébé est une personne » Brazelton). Il met donc en évidence un aspect spécifique de la relation de l’enfant à sa mère : la relation au moi (la mère est le moi auxiliaire) opposée à la relation pulsionnelle.

 

A partir de cette mise en évidence de la transitionnalité, nous trouvons dans la pensée de Winnicott :

   * le passage de l’objet Moi à l’objet non Moi

   * l’importance du jeu chez l’enfant.

 

Jouer = créer, inventer, découvrir

   Ce qui est moi et pas moi

   Ce qui est dedans et dehors

   Ce qui est chaud et froid

   Ce qui est dur et mou.

 

C’est très sérieux – mais cela se fait dans le plaisir si on lui fiche la paix et qu’on est là, derrière, à assurer « la couverture ». (Capacité à être seul en présence de la mère).

 

A ce stade, vivre et jouer est une même chose.

 

 

Angoisses primitives, dépression psychotique (ou originaire).

 

Pour Winnicott, la santé, c’est la maturité au bon moment. (Versus l’adolescent attardé, l’adulte précoce…).

On retrouve dans cette définition l’importance donnée aux processus de croissance, au développement de l’individu selon les différents âges de la vie. Il en découle que la maladie est essentiellement relative aux processus qui jalonnent la croissance individuelle.

 

S’agissant des états psychotiques :

Ils témoignent de la faillite qui a lieu lors des phases précoces du développement affectif primaire.

Ils manifestent, en négatif (défense), la catastrophe psychique survenue à l’aube de l’existence. La « dépression primaire catastrophique ».

 

L’individu en « crise » peut être en meilleure santé (plus « normal ») que celui dont la bonne santé apparente est construite sur des bases fausses.

Cf. le faux-self

Cf. la fuite dans la « normalité » (les normopathes)

 

La psychose est à comprendre comme défense, comme création. Création d’un engin de guerre tourné contre soi-même et contre les autres (création, et non pas déficit, manque).

Il s’agit de se prémunir contre dans dangers terribles. Et plus les dangers sont grands, plus les moyens sont radicaux. (La « forteresse vide »).

 

(De même, la « dépression nerveuse » n’est que l’effondrement du système de défense).

 

Les dangers sont ce que Winnicott appelle la menace du retour des angoisses primitives.

Qu’est-ce qu’il entend par là ?

 

Cette dépression tant redoutée a déjà eu lieu dans le passé. (Paradoxe).

 

Il s’agit d’un état psychique proprement impensable et dont on ne peut se faire une idée que par une reconstruction indirecte à partir des cures analytiques de certains patients qui réussissent à dire à peu près ce dont il s’agit (quand leur fragilité et leur angoisse, avec l’aide du thérapeute, ne les entravent pas trop). Cette « dépression qui a eu lieu, n’a pas eu de lieu (psychique) pour être vécue et éprouvée (psychiquement) comme telle. Elle se situait à un moment trop précoce du développement de l’enfant, au moment où il n’était pas encore capable de s’éprouver comme personne totale et unifiée. Elle renvoie bien entendu aux carences de l’environnement qui, pour des raisons multiples n’a pas pu remplir son rôle.

 

cf. la triple fonction maternelle : d’aide à l’intégration des noyaux dispersés du Moi de personnalisation, c’est-à-dire de l’union solide entre le Moi et le corps d’aide à l’instauration d’une relation d’objet – croyance laissée à l’enfant qu’il a lui-même créé ces objets avec lesquels il entre en relation – et à la reconnaissance de l’autre comme différencié (avec acceptation de cette différence).

 

Cette « dépression » peut être vue comme une succession de moments traumatiques, catastrophiques, imputables aux carences de l’environnement, à cette période de la vie où le Moi de l’enfant n’est pas encore intégré.

 

Elle est inscrite, sur le plan psychique (pré-psychique), en négatif : le vide, le trou, le rien, l’absence sont ici plus importants que ce qui est. Plus important du point de vue de ce qu’ils font vivre, un peu comme une « aspiration » qui empêche de s’occuper d’autre chose.

 

(Reprise du paradoxe)

Si le patient redoute la dépression, c’est parce qu’elle a déjà eu lieu sans lieu pour s’inscrire. C’est l’expérience du « breakdown » que l’on ne peut comprendre qu’en évoquant l’idée de mort ou d’annihilation du Self.

Le patient (adulte) peut dire que sa peur est celle de la mort, mais il essaie de dire surtout une expérience (psychique) qu’il sait avoir vécue (quand il s’est éprouvé comme annihilé). Dans ces cas là, le suicide est une façon « d’envoyer le corps à la mort qui s’est déjà produite dans la psyché ».

Le patient doit pouvoir revivre, dans l’analyse, cet effondrement, cette expérience de vide, accompagné de son thérapeute (si celui-ci est assez solide pour supporter le temps qu’il le faut la dépendance du patient dans le transfert). Il doit la revivre, car c’est la seule manière pour qu’elle puisse prendre sens.

 

 

Pour résumer les principaux apports théoriques de Winnicott.

 

Il a montré :

 

    * l’importance du corps comme lieu des premières expériences psychiques. (Les sensations sont des protopensées).

Des auteurs qui lui ont succédé ont développé ces aspects : BION, TUSTIN, G. HAAG …

 

   * L’importance des soins maternels et la reconnaissance des pulsions.

La fonction de pare-excitations (cf BION) protège contre la violence des pulsions désorganisatrices tant qu’un moi assez solide ne s’est pas encore organisé.

Mais il faut aussi respecter la personne de l’enfant – ne pas l’envahir -, lui laisser l’espace d’expression de ses potentialités propres (respecter son Self).

(De la même façon, dans la relation thérapeutique avec les enfants ; il ne s’agit pas de réparer une personne à qui il manque quelque chose).

 

   * L’acquisition du sens de la réalité passe par la possibilité d’accès à l’aire transitionnelle (l’illusion accompagnée du vécu d’omnipotence) avec la richesse de l’expérience du jeu, permettant la créativité future.

 

 

Critiques et Questions

 

   * Dans l’apport de WINNICOTT, il n’y a pas beaucoup de place pour le père (cf LACAN) (la fonction symbolique et le trait d’union).

 

   * La notion de carence de l’environnement n’est pas toujours justifiée. Il peut y avoir une prise de conscience trop précoce de la séparation (TUSTIN) L’enfant se retrouvant « pris (captif) par la beauté du monde » (MELTZER)

 

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AUTEURS POST-KLEINIENS

VI. Les auteurs Post-Kleiniens.                               Dr B. Algranti Fildier    

 

Introduction.

(Inspirée par les écrit de Jean Bégoin : Notes sur certains développements apportés par des auteurs post kleiniens : névrose, psychose, genèse et troubles de la pensée.)

 

Les conceptions de Mélanie Klein tiennent une place particulière dans le mouvement psychanalytique, enrichissant les théories de Freud et élargissant leur champ dans de nombreuses directions notamment le traitement analytique des enfants, y compris les enfants psychotiques, autistes et déficitaires.

En Grande-Bretagne, l’influence de Mélanie Klein a été particulièrement forte. Elle a contribué pour une large part à la constitution de ce que nomme « L’école anglaise de psychanalyse ».

Le mouvement analytique issu de l’œuvre de Mélanie Klein qui s’est étendu en Europe et en Amérique du Sud a pu apparaître à certains comme attaché de dogmatisme. En réalité, la pensée de Mélanie Klein n’a pas cessé d’évoluer tout au long de sa vie et ses continuateurs ont continué son œuvre dans des directions variées ouvrant des perspectives tout à fait nouvelles voire révolutionnaires qui attestent après-coup la fécondité de la pensée kleinienne.

 

 

Sur les Psychoses, en résumé :

 

D. MELTZER a montré comment les étapes du processus psychanalytique permettent de préciser les critères de différenciation entre la santé mentale, la névrose et la psychose. La frontière entre la maladie mentale (psychose) et la santé mentale apparaît comme se situant au niveau de l’abandon de l’identification projective massive, c’est-à-dire au niveau de la reconnaissance de la différenciation sujet-objet (abandon de la symbiose, selon M. Malher).

La frontière entre l’instabilité (névrose) et la stabilité mentale se situe au niveau de la résolution des obstacles à la reconnaissance de la dépendance introjective envers l’objet (seuil de la position dépressive) ; La frontière entre l’immaturité et la maturité se situe au niveau de la résolution du complexe d’Œdipe génital. Celle-ci comporte la résolution de la position dépressive au niveau du renoncement à la prédominance des modes de satisfaction, de relation d’objet et de pensée propres à la sexualité infantile prégénitale, ainsi qu’à la réintégration des parties du self clivées et projetées dans les objets, à l’intégration du Surmoi et de l’Idéal du Moi et à celle de la bisexualité psychique. Deux niveaux de fonctionnement psychique sont à considérer alors : l’identification narcissique (essentiellement projective) pour les structures infantiles, et l’identification introjective pour les structures adultes (qui correspond à un concept élargi de la génitalité).

 

H. ROSENFELD en1965 apporte des précisions sur la psychopathologie des états confusionnels, du narcissisme et de l’hypochondrie.

1. Herbert Rosenfeld décrit des états confusionnels au cours de l’analyse de schizophrènes adultes en phase chronique sous-tendus par l’échec d’un clivage adéquat entre les bons et les mauvais aspects de l’objet implique également l’échec d’un tel clivage pour le Moi qui est alors submergé par la confusion.

2. Dans les relations d’objet narcissiques, l’identification projective est utilisée massivement comme défense contre toute reconnaissance de la séparation entre le sujet et l’objet, afin de dénier les sentiments de dépendance envers l’objet et les angoisses persécutrices et dépressives qui s’y rattachent … 3. Il souligne la différence entre l’hypochondrie par phase, dont la fonction est analogue à celle de la névrose infantile (nouvelle élaboration des angoisses psychotiques précoces) et l’hypochondrie chronique qui résulterait de la non-élaboration d’un état confusionnel.

 

W.R. BION

Peu après les travaux de H. Rosenfeld, W.R. Bion commence à développer ses propres recherches sur la psychose. Il met en particulier en évidence chez le psychotique d’une partie névrotique de la personnalité que la partie psychotique tend à envahir et à annihiler par haine de la réalité et de la souffrance que celle-ci lui fait éprouver.

Le retrait de la réalité est provoqué par un puissant fantasme d’identification projective qui agit comme si l’appareil perceptuel du patient pouvait être pulvérisé, c’est-à-dire clivé en fragments minuscules projetés dans les objets. Les liens entre les objets sont attaqués et détruits.

Les observations de W.R. Bion sur le fonctionnement psychotique lui ont permis d’élaborer par la suite la première théorie psychanalytique de la pensée.

 

H. SEGAL

1957 Notes sur la formation des symboles. Hanna Segal y établit la distinction entre le symbole vrai tel qu’il est utilisé dans la pensée adulte et un mode plus primitif de symbolisation qu’elle nomme équation symbolique. Elle indique que la symbolisation est une relation à trois termes : le Moi, le symbole et la chose symbolisée.

Dans l’équation symbolique, le symbole et la chose symbolisée sont vécus par le sujet comme entièrement équivalents. L’équation symbolique, résultat d’une identification projective massive, forme la base de la pensée concrète du schizophrène.

Par contre, le symbole vrai est ressenti comme distinct de la chose qu’il représente et peut dès lors être librement utilisé par la pensée. Son avènement implique la reconnaissance de la distinction sujet/objet et l’acceptation du deuil de l’objet primaire ; c’est dire que l’élaboration de la position dépressive et la prédominance de l’identification introjective constituent les bases des capacités de symbolisation vraie et de la pensée adulte qui s’y rattache.

 

 

Sur la pensée, en résumé :

 

Mélanie Klein avait surtout perçu les aspects ou les conséquences pathologiques de l’identification projective qui attaque l’objet par l’intrusion et le contrôle omnipotent exercé sur lui, et qui appauvrit le moi du fait de la projection de certaines parties du Self. Le terme d’identification intrusive aurait sans doute été préférable pour qualifier les phénomènes décrits par M. Klein et les distinguer de l’identification projective normale que Bion considère comme étant le premier mode de communication entre la mère et l’enfant et le processus qui est à l’origine de la pensée.

 

Selon W. R. Bion, l’identification projective normale est ce fantasme omnipotent par lequel le bébé externalise une partie en détresse de son Self (par exemple la peur de mourir de faim) ; la mère reçoit cette identification projective et, grâce aux capacités de compréhension et d’élaboration de son propre fonctionnement psychique (la « capacité de rêverie » de la mère) elle la restitue au bébé, « détoxiquée de l’excès intolérable de souffrance qu’elle contenait.

 

La souffrance psychique est vue par Bion, à la suite de Freud, comme suscitée par une accumulation intolérable d’excitations. Il ajoute que, face au bombardement continuel d’éléments sensoriels bruts, non assimilables par la pensée, seule la capacité de rêverie de la mère est apte à transformer ces éléments bêta en éléments assimilables par la pensée, nommés « éléments alpha ». Il écrit : « L’activité que nous connaissons sous le nom de « penser » était à l’origine un procédé permettant de décharger la psyché de l’accumulation des stimuli, et le mécanisme utilisé est celui qu’a décrit M. Klein sous le nom d’identification projective. »

 

Ce que Winnicott décrit plus phénoménologiquement comme de « la préoccupation maternelle primaire » est conçue par Bion comme une relation d’identification projective mutuelle entre la mère et le bébé, à travers laquelle l’angoisse persécutrice primitive (M. Klein) du bébé est soulagée grâce aux capacités de contenant et d’élaboration de l’appareil psychique de la mère.

 

C’est au sein de cette relation que le bébé développera peu à peu son propre fonctionnement psychique, en internalisant le « couple heureux » constitué par l’identification projective de l’enfant et la capacité réceptrice et élaboratrice de la mère. Cette relation « contenant-contenu » ainsi que la relation dynamique entre position schizo-paranoïde et position dépressive qui correspond aux oscillations entre la tendance à la désintégration et la tendance à l’intégration, constituent les deux mécanismes essentiels prenant part à la formation de l’appareil psychique.

 

En outre, le modèle du fonctionnement psychique semble être le fonctionnement digestif. La « digestion » ou l’« assimilation » des expériences émotionnelles par la fonction alpha nourrit ainsi la vie psychique de vérité, aussi nécessaire à son développement que la nourriture l’est au fonctionnement psychique.

 

Par contre, si l’appareil psychique reste incapable d’utiliser l’expérience, il en résulte un « désastre » correspondant aux divers degrés de détérioration psychotique, pouvant aller jusqu’à la « mort de la personnalité ».

 

Dans les psychoses, l’identification projective est de nature pathologique, en ce que le bébé projette dans l’objet une telle envie et une telle haine pour le sein ressenti (pour des raisons externes ou internes) comme inaccessible et non réceptif à la peur de mourir du bébé, que cet objet identificatoire est vécu comme poussant le sujet à ne pas penser, et, en lieu et place, à élaborer des mensonges et des hallucinations. « Le petit enfant qui avait commencé par avoir peur de mourir, se retrouve contenant une terreur sans nom ». Il vit son objet comme un Surmoi imposant sa supériorité morale, haïssant le développement et promouvant un fonctionnement qui est l’inverse de la fonction alpha et qui peut, par exemple, contribuer à l’élaboration du délire. « Le Surmoi a usurpé la place du Moi dans la psychose ».

 

 

L’autisme infantile. La dimensionnalité de la vie psychique.

 

E. BICK (1968) avait déjà décrit certaines réactions très violentes d’intolérance à la séparation survenant chez des enfants qui n’avaient pas intériorisé la fonction de « contenant » de l’appareil psychique de la mère. Cet échec, tenant soit à des causes externes (insuffisance du « holding » dans le sens de Winnicott), soit à des causes internes (intolérance à la frustration, dans le sens de W.R. Bion) laisse des séquelles dans l’intégration de base du Self, se traduisant par une faiblesse des liens intégratifs au niveau somatique et une fragilité de l’expérience de la réalité psychique. Les séparations entraînent chez ces sujets – enfants ou adultes - des angoisses de type catastrophiques liées à une non-intégration des différentes parties du Self et s’accompagnant d’impression de morcellement, de liquéfaction ou de chute sans fin, ainsi que des troubles intéressant aussi bien la pensée que la posture, la motricité et la fonction végétative.

 

F. TUSTIN (1972) a retrouvé chez des enfants autistiques des phénomènes décrits par E. Bick. Elle souligne l’existence, chez ces enfants, d’un processus différent de la projection et de l’introjection par lequel ils maintiennent l’illusion de l’ « unité primaire » avec le corps de la mère. La rupture de ce lien très primitif entraîne une dépression psychotique du type d’un « trou noir » psychique.

Frances Tustin étudie les caractères des objets autistiques qui les distinguent des objets transitionnels de D. Winnicott : ces derniers sont un mélange de « moi » et de « non-moi », alors que les objets autistiques sont totalement « moi » ; ils ont pour fonction d’éviter toute rencontre avec le non-moi qui constitue une menace insoutenable, celle du trou noir où tout disparaît inéluctablement et totalement. Le recours permanent et en général caché à des objets autistiques, souvent des parties du corps (l’enfant suce secrètement sa langue ou les parois de ses joues, ou retient ses selles dans son anus, ou manipule des bulles de salive dans sa bouche, etc…) est le moyen, pour l’enfant, de repousser toute relation avec l’objet maternel qui pourrait réveiller son intolérable angoisse de séparation.

 

Dans un ouvrage collectif dirigé par D. MELTZER, (Exploration dans le monde de l’autisme, Payot, Paris, 1980) un groupe d’analystes a fait état de constatations comparables. Ces auteurs confirment l’hypothèse d’Esther Bick sur l’existence d’un état plus primitif encore que l’identification projective, état nommé « identification adhésive » pour désigner un mode de relation qui s’établit avec la surface de l’objet et avant même que l’objet ne soit conçu comme ayant un intérieur (l’intérieur du corps de la mère, vers lequel est dirigé l’identification projective décrite par M. Klein).

Ces observations aboutissent à l’hypothèse, nouvelle alors, qu’il existerait, avant la position schizo-paranoïde, une phase précédant l’instauration du sadisme (les enfants autistes sont très dépourvus d’agressivité), phase pouvant correspondre au stade préambivalent décrit par Abraham et récusé par Mélanie Klein.

Au cours de cette phase qui serait extrêmement brève en tant que telle dans un développement normal, et constituant le point de fixation de l’autisme infantile, le principal mécanisme de défense serait le « démantèlement » (D. Meltzer), des capacités du Self à vivre une expérience « consensuelle », c’est-à-dire à relier ensemble des diverses informations sur l’objet reçues des différents organes sensoriels. Les excitations sont ainsi isolées de leurs sources par l’autiste, voire attribuées à une autre source, afin d’éviter toute prise de sens qui risquerait de déchirer cette « peau psychique » commune au sujet et à l’objet et de promouvoir le développement avec l’angoisse qui s’y rattache forcément.

 

L’étude du fonctionnement autistique permet de saisir la nature des mécanismes obsessionnels qui s’y manifestent quasi à l’état pur (rituels auto-érotiques) et qui consistent à isoler chaque objet, tant interne qu’externe, et à exercer sur tous un contrôle omnipotent. Ici, les mécanismes obsessionnels sont l’expression directe de l’activité du sujet dans ses relations d’objet.

 

L’omnipotence impliquée dans un tel mécanisme est due au fait que cette activité s’opère sur la base d’un fantasme elliptique, ne tenant aucun compte des relations de cause à effet et du temps de l’élaboration nécessaire à la transformation d’un désir en sa réalisation.

Selon Meltzer, les mécanismes proprement autistiques ont ceci de commun avec les mécanismes obsessionnels plus élaborés, que le mode essentiel de l’activité vise à rendre insignifiante, stricto sensu, toute expérience naissante, en la démantelant jusqu’à l’amener à un niveau de simplicité qui se trouve en deçà de toute signification et de toute symbolisation pouvant contenir un sens émotionnel : à ce niveau, les différentes parties démantelées de l’expérience ne peuvent plus trouver entre elles que des articulations mécaniques et dues au hasard. (Démantèlement)

Selon que ces mécanismes fonctionnent à l’intérieur du retrait narcissique de l’autiste ou, au contraire, opèrent en relation avec des objets bons (phase post-autistique), ils seront dans le premier cas inutilement et désespérément répétitifs dans leur activité de démantèlement ou, dans le deuxième cas, ils constitueront le pivot central des plus hauts degrés d’intégration entre le développement intellectuel et le développement émotionnel.

 

Dimensionnalité de la vie psychique. D. Meltzer établit une comparaison entre les quatre dimensions (trois spatiales et une temporelle) de l’« espace de vie de l’organisme (K. Levin) et les dimensions de l’« espace de vie psychique » d’un point de vue psychanalytique : la « géographie du fantasme » comme il la nomme dans le processus psychanalytique. Cette géographie s’organise habituellement en quatre compartiments : intérieur du Self, extérieur du Self, intérieur des objets internes, intérieur des objets externes et elle se promeut dans la dimension temporelle. Il s’y ajouter parfois - ou peut-être toujours - un cinquième espace, le « nulle part » (nowhere) du système délirant, espace qui se situe en dehors de la sphère d’attraction des bons objets, tant externes qu’internes. Par ailleurs, il pense que le développement de la dimension temporelle dans le psychisme va d’un temps circulaire à un temps oscillant, pour aboutir finalement au temps linéaire du « temps de vie » de l’individu, capable alors de concevoir sa propre mort. Dans l’autisme proprement dit, l’expérience est réduite à un mode unidimensionnel, rappelant les premières hypothèses de Freud dans lesquelles le Self est un centre fixe qui établit une relation linéaire de temps-distance avec des objets conçus comme potentiellement attirant ou repoussant la satisfaction pulsionnelle. Un tel monde ne convoie qu’une émotionnalité élémentaire et ne constitue pas à proprement parler un monde psychique, mais consiste seulement en une série d’évènements non utilisables pour la mémoire ou la pensée.

 

La première constitution de l’objet étant inséparable des qualités sensuelles qui peuvent être appréhendées à la surface, la constitution du Self y correspondant se limite également à une surface, évoquant le Moi, tel qu’il a été décrit par Freud dans le Moi et le Ca. Ce Self de surface peut développer une merveilleuse intelligence dans la perception et l’appréciation des qualités sensuelles de la surface des objets, mais se trouve nécessairement limité dans la construction d’objets ou d’évènements différents de ceux qu’il a réellement expérimentés.

 

Dans ce monde bidimensionnel, l’absence d’espace psychique interne dans lequel le fantasme et la pensée expérimentale pourraient opérer limite la capacité de pensée et l’imagination, ainsi que la mémoire, le désir et les capacités de prévision. En effet, le vécu émotionnel ne résultant pas d’introjection d’objets ne peut être modifiés par eux. Le temps, dans ce mode de fonctionnement, est essentiellement circulaire, ne concevant ni changement, ni développement, ni fin. Les circonstances qui menacent cette éternité sont vécues comme une rupture des surfaces, sur un mode qui évoque les affections de la peau.

 

Afin de sortir de la bidimensionnalité et accéder à la tridimensionnalité, les processus de clivage et d’idéalisation décrits par Mélanie Klein sont indispensables. Leur établissement permettra d’expérimenter l’objet comme un contenant tridimensionnel, ayant ses orifices et ses fermetures, modèle sur lequel, par identification, le Self se constituera de même. Dès lors, la conception du monde sera entièrement nouvelle et infiniment plus complexe. Le temps deviendra oscillant, du fait de l’existence des sphincters fermant l’objet et le sujet, et du va et vient entre l’extérieur et l’intérieur de l’un et de l’autre. L’attente et la durée seront dès lors concevables, et les processus d’introjection et de projection organiseront le monde psychique interne, avec prédominance de l’identification projective et de l’omnipotence qui s’y rattache.

 

Ce n’est que lorsque le conflit avec le narcissisme et le contrôle omnipotent sur les bons objets aura été suffisamment élaboré, qu’un monde à quatre dimensions pourra s’établir, sur la base de l’introjection des bons objets. L’identification introjective, telle que Freud l’a décrite dans le Moi et le Ca suppose un renoncement à l’envie et à la possessivité jalouse, un investissement positif du temps et de l’espace.

 

Ces conceptions meltzeriennes ouvrent de nouvelles voies dans le problème des identifications. Tandis que l’identification projective demeure le prototype de l’identification narcissique dans un monde psychiquement tridimensionnel, l’identification adhésive découverte par Esther Bick se révèle être le mode d’identification lié à la bidimensionnalité et caractériser l’autisme.

 

Dans ce dernier mode d’identification (adhésive), la dépendance à l’adulte n’est jamais niée, ni remise en question. Au contraire, l’enfant autiste « colle » à l’adulte, et son effondrement est brutal et total lors des séparations ; sa totale identification à la surface de l’objet peut le faire apparaître sans pensée propre ; son imitation minutieuse de l’objet peut apparaître caricaturale, sans qu’il y rentre pour autant la moindre hostilité.

 

Des phénomènes autistiques peuvent aussi être présents chez des patients névrotiques adultes et se révéler comme constituant le soubassement psychotique de leur névrose. Avec ces concepts kleiniens et post-kleiniens – et peut-être seulement avec eux - de clivage entre les bons et les mauvais aspects de l’objet et du Moi, de projection, d’identification projective puis d’identification introjective, d’angoisses persécutrices et dépressives, et même de positions schizo-paranoïde et dépressive, de réintégration, de réparation …., concepts kleiniens, nous pouvons rendre compte des processus en jeu dans les psychoses, et en particulier dans les psychoses précoces. Ce sont donc des notions d’une grande valeur clinique et thérapeutique pour tout ce qui concerne la compréhension et l’abord de ces psychoses de l’enfant).

 

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Frances TUSTIN et Donald MELTZER pour l'AUTISME

VII. Frances TUSTIN et Donald MELTZER pour l’Autisme              Dr V. Perdigon

 

 

Frances TUSTIN travaille sur l’autisme à partir des années 1970.

 

Elle retient la notion de « dépression psychotique » de Winnicott comme l’évènement primordial dans la genèse de l’autisme.

Il s’agit là d’un véritable vécu de rupture dans la « continuité corporelle », un endommagement corporel, une espèce de trou noir garni d’odieuses ondes persécutrices (cf. John : le trou noir avec un méchant piquant).

Ce trou noir, en tant qu’expérience ressentie est le résultat d’une séparation avant l’heure qui fait rupture brutalement dans le vécu d’illusion d’une continuité corporelle. Ici, il n’y a pas de symbiose (cf. la symbiose de M. Malher : illusion délirante d’une frontière (enveloppe) commune à deux êtres réellement distincts (fusion ne suffit pas. Fusion = dissolution), d’une seule unité à deux).

 

F. Tustin prend en cure analytique des enfants autistes et supervise d’autres cures. Elle est conduite à étudier de plus en plus près, à partir de ce que les enfants montrent par leurs comportements, leurs jeux, leurs stéréotypies, leurs dessins, leurs paroles lorsqu’ils sortent du mutisme…. Tout ce qu’il lui semble que ces enfants ressentent sur le plan corporel comme type de sensations effrayantes qui les paralysent, les obligent à mettre en place très tôt des défenses (autistiques) contre ces sensations. Le tout entraînant un arrêt du développement.

 

Les premières structures mentales ne seraient que des constellations de sensations corporelles (la sensation comme protopensée : ce n’est pas encore une pensée mais cela en est l’origine).

 

Comme exemple de constellation, elle donne celle de toutes les sensations qui s’organisent autour de la bouche, en « grappes de sensations ».

 

* La forme « amibienne » de l’autisme.

 

Ce serait le prolongement anormal de l’autisme normal de tout nourrisson (M. Malher). Il y aurait dans cette forme, le sentiment que la substance de son corps n’a ni fin ni limites. Ce sont des enfants autistes « mous », « flasques », se coulant (tel un liquide) dans les anfractuosités du corps de l’adulte. Il n’y a là aucune distinction Moi/non Moi.

 

Au bout de quelques années, F. Tustin finit par considérer que cette forme d’autisme est l’expression d’une atteinte organique cérébrale et donc plutôt l’équivalent d’un état d’arriération mentale (déficit réel) qu’un état psychotique véritable.

 

* La forme d’« autisme secondaire » à carapace.

 

Elle correspond à l’autisme décrit par Kanner.

 

Là, il y a une distinction Moi/non Moi mais elle est intolérable. Il y a création d’une véritable barrière autistique : la carapace destinée à en interdire l’accès. Cette carapace est représentée par tout un ensemble de manœuvres corporelles (les stéréotypies) que l’enfant déclenche pour qu’elles lui produisent des sensations toujours identiques (immuabilité) (Auto sensualité, auto érotisme, autisme). Ces manœuvres combattent l’expérience intolérable de la conscience de la séparation (encore une fois, il s’agit d’une expérience corporelle). Tout se règle au niveau du corporel. Il y a blocage du développement psychique (au niveau des protopensées). Il y a peu de fantasmatisation.

 

La prise de conscience trop précoce de la séparation (de l’absence de sentiment de continuité corporelle avec la mère) correspond à la dépression psychotique de Winnicott (dépression primaire, catastrophique, perte non encore mentalisable). C’est une expérience de perte au sens d’une mutilation, d’un arrachement d’une partie du corps, et en particulier de la bouche, de la grappe de sensations autour de la bouche. Il est possible de se faire une idée de cette expérience en imaginant que la bouche devient trou lors de la perte du sein et du mamelon, le sein perdu ayant comme emporté avec lui la bouche du nourrisson. La différence dur (mamelon)/mou (sein) est intolérable. Il y a refus obstiné des oppositions. C’est parce qu’il y a une expérience de trou noir (perte brutale des sensations qui bouchaient le trou) qu’il y a perception à partir du mamelon dur, d’un « méchant piquant ».

 

Dans la pratique de psychothérapie des enfants autistes, cette voie ouverte par Winnicott, Tustin, etc … est la voie d’une compréhension du corps comme lieu des premières pensées qui ne sont pas encore des pensées. L’adulte (le psychothérapeute, la mère), lui, peut penser ce que l’enfant ne peut pas encore penser mais seulement ressentir.

S’entendre dire ce qu’il ressent apaise ses angoisses, lui permet d’intérioriser dans un réseau de signification ce qu’il éprouve.

Les angoisses apaisées, l’enfant peut aller un peu plus loin et manifester d’autres angoisses liées à des conflits plus élaborés. Les interprétations ont des effets.

Depuis les travaux de F. Tustin, les thérapeutes accordent de plus en plus d’importance à toutes les modalités sensorielles (vue, audition, toucher…).

 

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Donald MELTZER

 

Faisant suite à M. Klein et à Bion, il a longuement étudié l’autisme et en est arrivé à des hypothèses déconcertantes.

 

A la naissance, l’enfant doit faire face à une somme de sensations bouleversantes. Il est saisi par la beauté du monde.

 

Il introduit la notion de démantèlement du Moi : il s’agit d’un clivage suivant les plans d’articulation des différents modalités sensorielles.

 

Et celle de la dimensionnalité de la vie psychique : l’organisation du vécu de l’enfance se construit selon différents étapes : la bidimensionnalité, puis la tridimensionnalité.

 

Dans les états caractérisés par la bidimensionnalité, la relation à l’objet se fait selon le type d’identification adhésive : l’objet n’a aucune existence propre, il est vécu comme prolongement d’une partie de soi.

 

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COMPLEMENTS SUR LES PSYCHOSES

VIII. Compléments sur les Psychoses. S. Freud. D.W. Winnicott. F. Pasche.

Dr V. Perdigon

 

Approche psychanalytique des psychoses infantiles (suite).

 

* Reprise de la description de la psychose infantile selon la théorie psychanalytique.

 

La psychose est un trouble massif du sens de la réalité. (La réalité extérieure c’est aussi l’autre).

La psychose est un vécu de menace permanence de l’irruption de l’autre en soi-même. Ce vécu intrusif oblige à des constructions défensives radicales. L’excès de ces défenses contre la persécution explique les troubles du développement (l’accès à l’individuation). Ces enfants ont en permanence à se protéger de la relation.

 

Il y a donc deux traits dominants du point de vue de la théorie :

 

    - se protéger contre l’expérience de l’angoisse impensable (le trou noir) : nous sommes là plutôt du côté de l’autisme.

    - se protéger contre l’autre en tant que persécuteur, envahisseur potentiel : nous sommes là plutôt du côté de la psychose.

 

 

* Le vécu d’intrusion persécutive dans la psychose.

 

Nous sortons là des repères théoriques de Winnicott et nous revenons à des auteurs plus classiques, au sens où ces auteurs privilégient la place des pulsions – de la libido - et du narcissisme.

 

FREUD. Première théorie des pulsions. Narcissisme

 

Selon la première théorie des pulsions, il y a opposition des pulsions d’autoconservation (ou pulsions du Moi) et les pulsions sexuelles.

Les pulsions d’autoconservation sont au service de l’individu. Elles sont les besoins du corps biologique (exemple la faim). Elles sont satisfaites par l’objet réel et font référence au principe de réalité.

Pour les pulsions sexuelles, le plaisir est gratuit. L’objet peut être fantasmatique.

(Concept de pulsion : mesure de l’exigence du travail imposé au psychisme de par sa liaison au corporel. On ne peut en venir à bout par la seule activité musculaire).

 

Moi plaisir et Moi réalité dans les étapes de la formation du Moi.

 

Moi réalité : il y a distinction dehors/dedans par l’activité musculaire qui montre ses limites quant à la pulsion.

Moi plaisir : le plaisir est lié au sujet tandis que le déplaisir est lié au monde extérieur.

Moi réel définitif : la distinction est établie entre l’identité de perception (le sujet est capable d’halluciner) et l’identité de pensée (la satisfaction hallucinatoire n’est pas durable. L’objet doit être recherché dans le réel).

A partir du Moi plaisir se constitue le Moi auto-érotique et le narcissisme. Le Moi auto-érotique n’a pas besoin du monde extérieur. Il prend en lui ce qui est bon. Il expulse au dehors ce qui est source de déplaisir (cf. M. Klein).

Freud en arrive au concept de narcissisme.

Se produit là un bouleversement théorique. Il y a opposition entre les besoins et la libido. Les besoins doivent être satisfaits (ce sont les anciennes pulsions du Moi). La libido est divisée en deux :

   - la libido d’objet

   - la libido du moi : le narcissisme.

 

Un problème surgira ultérieurement par l’opposition entre la pulsion de vie et la pulsion de mort. La libido du Moi serait souvent du côté de la mort.

 

 

* Le narcissisme

 

Le narcissisme est le stade de l’évolution sexuelle intermédiaire entre l’auto-érotisme et la relation d’objet. Le sujet se prend lui-même comme objet d’amour (ce qui permet une unification des pulsions sexuelles jusque là anarchiques).

Dans les psychoses, il y a désinvestissement total de l’objet. Le moi dans sa totalité est investi par la libido.

 

Se constitue d’abord le narcissisme primaire. Il y a là absence totale de relation avec l’entourage et indifférenciation du moi et du ça. Le prototype en est la vie intra-utérine (et le sommeil).

 

Puis, se constitue le narcissisme secondaire. Il s’agit davantage là de l’amour de soi-même.

 

Il manque dans tout cela la dimension d’image – donc d’identification à l’autre – contenue dans l’idée de Narcissisme. Freud se place trop sous l’emprise de la théorie des pulsions. Lacan, mais aussi Winnicott, en parlent autrement. Selon Lacan, le moi se définit par l’identification à l’image d’autrui. Et Winnicott introduit le rôle de la mère comme miroir.

En tout cas, le concept de Narcissisme Primaire est assez « clair » mais il est vrai qu’il y a conflit entre la libido objectale et la libido narcissique.

 

Aimer, c’est sortir de soi-même. C’est prendre le risque de s’appauvrir au profit de l’autre (du moins pourrait-on le croire si on est très « narcissique »).

C’est ce conflit qui nous intéresse dans l’étude des psychoses. Il faut se demander si les termes de ce conflit sont bien posés.

 

Selon Freud, dans l’état amoureux, le sujet se vide libidinalement au profit de son objet (survalorisé). C’est une espèce d’aliénation (passion). Ce conflit peut être vécu comme assez dramatique du point de vue de la condition humaine si l’on entend qu’il n’y a pas d’autre choix entre : aimer l’autre et se perdre soi-même ; s’aimer soi-même et perdre l’autre. La question est de savoir si la théorie de la libido à elle seule peut rendre compte du désir d’aimer. Le point de vue énergétique, « matérialiste », suffit-il ? Nous pouvons critiquer le « pansexualisme » de Freud : aimer ce n’est pas seulement chercher auprès de l’autre la satisfaction sexuelle.

 

Le concept de narcissisme ouvre des portes nouvelles si, avec différents auteurs, nous l’élargissons.

 

Exemple selon Winnicott : l’enfant demande à grandir, à investir le monde. Cela lui est propre et il n’est pas mû par le seul plaisir sexuel.

 

Exemple avec F. Pasche et son concept d’antinarcissisme qui vaut la peine d’être examiné. L’antinarcissisme correspond à l’idée d’une double polarité d’emblée à l’œuvre chez le nouveau-né.

   - un investissement (narcissisme) centripète direct (rend compte du narcissisme primaire)

  - un investissement centrifuge : tendance à se déprendre de soi-même (et non à se détruire).

 

Ce double investissement contraire permanent montre que le sujet tend à la fois :

   - à s’appauvrir en faveur de l’objet et à s’en imprégner,

   - à se détruire et à se conserver,

si pour chacun, on rajoute, à l’œuvre, la dualité des pulsions de vie et de mort. La voie vers le dehors est montrée par autre chose que la faim. L’amour primaire ne s’explique pas seulement par la présence de l’objet extérieur. Le « sujet » est à la fois :

   - une cohérence active,

   - une dissociation (cf. Lacan).

 

Dans les psychoses, prédominent le vécu persécutif et le sentiment d’emprise magique de la part de l’autre.

Cliniquement le malade a l’impression d’être aspiré, vampirisé par l’objet. L’objet est vécu comme soutireur de forces vives, violeur d’énergie. Le patient a l’impression d’être implacablement soumis à une volonté étrangère, d’être sous l’emprise toute puissante d’un autre qui le manipule et fait de lui ce qu’il veut. Etre aliéné = appartenir à l’autre. Cet autre – en tout cas – est perçu comme étranger à soi-même, en dehors de soi. Cela s’exprime de façon claire dans le délire de persécution et d’influence des patients schizophrènes adultes.

Chez l’enfant, on voit surtout se manifester les défenses contre ces impressions (actes violents impulsifs, angoisse incompréhensible, retrait …)

 

Si l’on essaie de repenser au mode primitif d’investissement de la mère par l’enfant, on peut dire :

Au début de la vie, l’enfant est d’une certaine façon totalement subordonné à sa mère (il est mû par sa mère) (ou dans certains cas, par son père). Les paroles qu’il prononce lui ont été mises dans la tête. Les mimiques de la mère, ses gestes, ont sur lui un effet direct (si ce n’est la parole – quand elle parle). L’enfant et la mère constituent une unité à deux dont la mère est le centre. Mais cette unité est complexe, car faite d’un investissement réciproque : l’enfant intronise sa mère (ce qui ne signifie pas qu’il la perçoit : il la perçoit quand il peut à la fois être au point zéro et rester où il est) ; il est à la fois capté par elle (passif), (soumis à son ascendant sur lui) et actif quand il l’intronise (il lui reconnaît sa toute puissance et son ascendant). Tout cela dans la mesure où il n’a pas affaire à une mère trop intrusive. S’il peut faire cela, à la fois il fusionne avec elle (soumis) et il opère une distinction, une séparation (quand il l’intronise).

 

Dans la psychose, tout se passe comme si le sujet ne parvenait pas à régler et à limiter la quantité d’investissements dévolus à l’objet. Celui-ci devient persécuteur.

 

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LE CONCEPT D'ENVELOPPE PSYCHIQUE

IX. Le Concept d’enveloppe psychique.                 Dr V. Perdigon                                                                         

 

Et rappel sur les psychoses infantiles et le développement du Moi.

 

« La couverture du Moi » selon Winnicott.

 

La mère enveloppe un certain temps le Moi naissant de l’enfant.

 

Lors de carence de l’environnement, l’enfant subit l’expérience du trou noir (F. Tustin) et un vécu d’intrusion et de persécution.

La fonction de l’environnement pendant les premiers mois de la vie du nourrisson est d’assurer autour de lui une espèce de maillage, de tissage protecteur. C’est alors le moi auxiliaire représenté par la mère qui permet à l’enfant de se tisser son propre moi. Il faut pour cela du temps et du tact (naturel).

 

C’est la « capacité de rêverie de la mère » (Bion) qui introduit l’enfant dans le monde de la pensée. Elle pense pour lui en pensant à elle, à lui, au père, etc …

 

La réflexion psychanalytique s’est orientée de plus en plus vers un courant de pensée qui considère le vécu corporel sensori-moteur comme le fait psychique premier.

La sensation est conçue comme un premier phénomène psychique, mais en même temps il n’est pas vraiment psychique : sentir, ce n’est pas penser.

 

Comment naissent les pensées ? Comment naît la capacité de penser ? Qu’est-ce que penser ? (Cf. Bion : éléments bêta et fonction alpha.)

 

Il y a du non pensable brut au départ, source de tension, de déplaisir dont le bébé ne peut absolument pas se soulager tout seul. Il y a projection dans la mère de cet « élément Beta » qui le digère et le restitue à l’enfant sous une forme assimilable grâce à sa « capacité de rêverie ».

(Eléments beta : éléments de rage, d’envie, de douleur, de dé tresse…).

 

 

Le Moi et la capacité de penser.

 

C’est le fait de disposer d’un bon Moi qui permet d’accéder à la capacité de penser. Le Moi comme conscience (je suis conscient de ce que je suis. Je suis conscient de ce que je pense etc …).

 

A l’origine, il n’y a pas de Moi propre à un enfant. Quelque chose va se constituer que l’on appellera le Moi et qui est un appareil à penser (être, sentir, concevoir ; logique du vécu, perçu, conçu).

 

Didier ANZIEU a forgé la métaphore du Moi-peau.

Tout comme le corps, à l’origine, est constitué d’une enveloppe (la peau), il est déterminant d’étudier le Moi du point de vue de sa limite – de la constitution progressive de sa limite – de ce qui le délimite. Au départ, il n’y a pas de limite. Comment peut-on concevoir les différentes étapes de la constitution d’une limite ? Il y aura alors un dedans et un dehors.

Si cette limite est mal constituée, fragile, il y aura d’autant plus facilement de possibilités de trous, d’effractions, donc de sentiments d’être poreux, perméable, sans défense devant les excitations-intrusions venant de l’extérieur.

 

Cela revient à insister sur les bases « tactiles » (toucher) du psychisme humain. (Cf. les différents sens du mot « toucher »). C’est à partir du toucher que se constitue progressivement la limite. La fonction alpha (Bion) de la mère va servir d’écran contre tout ce qui fait barrage à la constitution progressive de cette limite. (Cf. les différents sens du mot « écran ». Ecran protecteur, écran surface de projection.)

 

Les éléments bêta (Bion) sont des sensations pures, intolérables, non mentalisables d’emblée et qui empêchent de vivre au sens psychique du mot vivre. La dimension d’interaction mère-enfant définit la fonction alpha (Bion) ou fonction de couverture du Moi (Winnicott).

 

Que s’agit-il d’acquérir grâce à la constitution d’un Moi un jour bien délimité ? La distinction entre :

   - un dedans et un dehors

   - l’animé et l’inanimé - des affects et des représentations

   - l’imaginaire et le réel

   - la veille et le sommeil

   - une perception et une hallucination.

 

Opérer un tri successif entre ce qui est

   - sensation (corporel pur)

   - émotion (affect, sentiment)

   - imagination (fantasme)

   - action (volonté consciente).

 

 

Le contenant ou la fonction contenante de la limite (de l’enveloppe).

 

La mère est contenante de l’enfant. Sa pensée est contenante des protopensées de l’enfant. Celui-ci va intérioriser (introjecter) la relation contenant/contenu entre lui et sa mère.

 

Enoncés principaux concernant la contenance.

 

* Le concept de l’enveloppe psychique est plus abstrait que celui du Moi-peau qui est une métaphore. Il englobe plusieurs idées :

      - un sac qui contient,

      - un bord qui délimite,

      - une interface qui met en contact les deux réalités qu’elle sépare,

      - une frontière qui filtre les entrées,

      - une sphère (boule) auto-suffisante,

      - la maîtrise des affects latents (contenus) (Faire bonne contenance, être décontenancé. Il y a toujours l’idée de la maîtrise.)

 

Chaque idée positive appelle son envers négatif et constitue avec lui un couple d’opposés.

(La pensée du couple est une nouveauté en psychanalyse longtemps limitée à la pensée du trois (Œdipe)).

 

Ainsi :

       - l’enveloppe est lisse, homogène, solide/trouée, fragile.

       - Le bord délimite une frontière fixe/la frontière bouge (expansion, rétrécissement).

 

Le contenant en tant que tel va être investi par la pulsion d’attachement qui est une forme de pulsion d’auto-conservation.

(Penser au grand intérêt du tout jeune enfant pour remplir et vider).

 

 

Application à l’autisme.

 

L’enfant autiste vit dans un monde tourbillonnaire, impensable à l’état pur. C’est comme s’il était en permanence emporté dans un espace sans limite (où ce qui apparaît comme limite se retourne comme dans la bande dessinée de Moebius : on se croit dedans et on se découvre dehors). L’intérieur est au dehors. (cf plus tard : les angoisses métaphysiques devant la pensée de l’éternité).

Cela donne une idée de son vécu de l’espace.

Le vécu de son corps et de ses limites renvoie aux angoisses d’amputation, de cassure brutale et de chute (comme dans les rêves où l’on tombe), d’écoulement (se répandre), d’explosion, d’arrachement. Il tente de lui-même de faire face à toutes ces angoisses (corporelles et d’espace), de se constituer tout seul une limite qui sera une espèce de seconde peau-carapace, très artificielle car sans vie, sans fluidité, sans élasticité, sans contact avec les émotions.

Nous retrouvons tout cela dans les stéréotypies, dans l’utilisation des objets. L’objet a pour fonction (objet totalement moi) de maintenir éloigné le Non-Moi.

 

Nous pouvons dire (Geneviève HAAG) que la vie psychique part, à l’origine, d’une substance commune primitive, où les premiers états psychiques se caractérisent par une non différenciation contenant/contenu. Il y a dans ce premier monde le règne de : - l’auto-sensualité rythmique - des clivages précoces en groupes de choses opposées.

G. Haag appelle cela la matrice (psychique) post-natale.

Dans cette matrice, les formes partagées, les espaces partagés, créent des connexions qui vont aider à atténuer la violence des clivages. Ou : quand du dur et du mou acceptent de se mélanger pour faire du solide. (Dans le clivage, au contraire, le mou et le dur ne doivent à aucun prix se rencontrer).

Les soins vont viser alors à réduire les clivages en proposant des expériences partagées tout en tenant compte des très grandes angoisses d’intrusion de ces enfants, et donc en cherchant les moyens les meilleurs pour pouvoir entrer en relation sans provoquer le retrait.

 

Parmi ces moyens, existent les groupes thérapeutiques. L’enfant, alors, n’est pas seul avec l’adulte. Les autres enfants et ce qui se passe entre eux l’aident à supporter plus facilement ce qui lui est proposé. Si un groupe fonctionne comme groupe, il remplit une fonction d’enveloppe contenante.

Les enfants autistes semblent avoir moins peur que nous du groupe : ils se coulent dedans et cherchent l’unité du groupe.

 

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PRATIQUE EN SECTEUR INFANTO-JUVENILE

X. Pratique en Secteur Infanto-Juvénile                    Dr. V. Perdigon

 

Voici quelques repères concernant la Psychiatrie de Secteur Infanto-Juvénile et ses principes d’action thérapeutique. (Cf. J. HOCHMANN)

 

Une équipe de secteur, c’est une équipe intégrée dans la communauté.

 

Ses fonctions sont :

   - le dépistage précoce des troubles,

   - l’intervention de soins précoces,

   - un important travail de partenariat (PMI, maternités, pédiatres, école, …).

 

C’est une équipe pluridisciplinaire, constituée (si possible) de psychiatres, d’infirmiers, de psychologues, d’assistantes sociales, d’orthophonistes, de psychomotriciens, d’éducateurs.

 

 

Le travail de soins

 

Il repose sur le « tabouret » :

   - le soin individuel de l’enfant,

   - le soin en groupe,

   - le travail avec les parents,

   - la pédagogie (liaison avec l’école, participation éventuelle d’instituteurs spécialisés).

 

Les enfants psychotiques mettent en œuvre deux mécanismes de défense principaux :

   - le clivage (succession de diapositives sans liaison)

   - l’homogénéisation (tout est pareil).

 

A la longue, les équipes ont tendance, sans analyse des pratiques, à fonctionner selon ces modes de défense (bons et mauvais soignants, bonnes et mauvaises équipes …, routine.)

 

D’où l’importance de l’infirmier référent de l’enfant dont les fonctions sont :

   - d’assurer les accompagnements,

   - de créer une relation affective avec l’enfant,

   - de relier les différents temps (psychothérapie, groupes, écoles, etc …),

   - de nuancer le « mythe » de la thérapie individuelle,

   - de marquer les conjonctions de coordination.

 

Il s’agit de combattre la confusion, l’amalgame, les clivages. L’infirmier référent, c’est l’« articulation ».

 

 

Travail avec les familles.

 

Il s’agit d’effectuer :

   - un travail sur les interactions parents-enfants,

   - un soutien aux parents, avec une aide à la prise de conscience de la différence entre l’enfant imaginaire et l’enfant réel,

   - Eventuellement des thérapies individuelles ou familiales.

 

Sans oublier la valeur symbolique de l’aide matérielle (Cf gardiennage et thérapeutique).

 

 

La pédagogie et le langage dans la psychose.

 

L’orthophoniste a un rôle particulier. Elle n’est pas seulement rééducatrice, elle incarne le langage et se situe entre le soin et la pédagogie. Elle aide l’enfant à apprivoiser les symboles.

 

Les enfants psychotiques haïssent les mots dans leur fonction symbolique.

 

Le symbole n’est pas seulement quelque chose - par exemple un objet - qui est chargé de représenter l’absence d’un autre objet, d’une personne ou d’un évènement passé. (On comprend là que le symbole - ou la fonction symbolique - a à voir avec l’absence.) C’est aussi la base du langage et de la culture - ou plutôt la condition du langage et de la culture.

 

Dans la psychose, il y a refus d’accéder à la symbolisation. Ceci dit, refuser de communiquer, c’est déjà communiquer.

 

L’orthophoniste est importante comme représentante du monde de la parole et des mots, de leur sens, du plaisir possible avec les mots - malgré tout ce qu’ils représentent d’emblée comme « meurtre » de la chose (différence entre la chose et son abstraction) - du plaisir de la métaphore, des images pour dire l’indicible (la poésie), etc … (séduction de la métaphore).

 

Chez l’enfant psychotique on retrouve des troubles du langage :

   - un évitement du pronom « Je »,

   - des phrases stéréotypées, répétitions infinies qui tuent le sens des phrases entendues,

   - des mots pris à la lettre, et même à leur sonorité pure.

 

 

Les groupes thérapeutiques. La fonction soignante.

 

Il existe deux sortes de groupes :

   - Les groupes à orientation nettement psychothérapeutique. Ce sont les psychothérapies de groupe avec interprétations.

   - Les groupes d’activités thérapeutiques.

 

* Qu’est-ce qu’un groupe Activités Thérapeutiques ? (Exemple : groupe piscine, groupe poney …). * Qu’est-ce qui fait dire que cette activité est thérapeutique et non seulement éducative ? (Cf Winnicott : ce n’est pas l’activité qui est thérapeutique).

 

Il y a des conditions que nous pouvons réunir dans la notion de cadre thérapeutique. Pour un groupe, ce cadre thérapeutique se définit ainsi :

   - il a lieu une fois par semaine à jour et à heure fixes,

   - avec quatre enfants et trois soignants (par exemple), toujours les mêmes,

   - ce groupe va à la piscine : cela n’a l’air de rien dit comme cela (c’est bien « gentil » de les emmener à la piscine…). Ce n’est pas pour leur apprendre à nager, ce n’est pas pour leur donner seulement du bon temps.

 

Qu’est-ce qui est important alors ?

   - la régularité. (par exemple tous les mardis de 10 à 12 heures) avec les préparatifs, le trajet, le déshabillage, le temps piscine, le retour. Il s’agit déjà de tenir la stabilité temporelle du cadre. Il a là une fonction de repère, de limite dans le temps

   - Ce qui se passe dans cette médiation. Ici, le but n’est pas d’apprendre à nager. Il y a mise en contact avec le lieu, avec les autres et avec l’eau (en finale). C’est une expérience complètement partagée du rapport à l’eau. L’eau est médiateur entre l’enfant et nous.

 

 

La fonction soignante dans l’activité thérapeutique.

 

Une activité s’imagine devant la défaillance de la médiation verbale : on propose de faire ; on utilise une médiation (entre) ; on propose une répétition d’expériences communes dans un espace partagé.

 

Le cadre doit être sécurisant, c’est-à-dire régulier, contenant.

 

Le soignant exerce sa fonction contenante : l’enfant peut alors, progressivement, s’autoriser à prendre des risques (à manifester quelque chose).

 

L’enfant autiste ne peut que mettre en actes, en gestes, en attitudes, en signes corporels ses états psychiques. Le travail des soignants consiste à inventer des signes communs, préverbaux, qui trouvent leur origine dans des expériences sensibles partagées. Pour « sentir » ce qui se passe pour lui, il faut soi-même passer par du ressenti. A partir de ce ressenti, il faut pouvoir secondairement s’en représenter quelque chose. (Si les expériences sont peu dicibles, on est trop « dedans »). Il faut en faire une histoire à plusieurs. (Importance du soutien référentiel – plutôt que superviseur).

 

Il est fait appel à l’activité de représentation du soignant (Cf capacité de rêverie). Il s’agit de sentir, mais aussi de parler. (Ce qui est plus facile à la séance d’après).

 

Bien entendu, avec des enfants fixes et des soignants fixes, il se crée une relation très privilégiée, une relation faite :

   - d’un accompagnement (au sens fort),

   - d’un soutien,

   - d’observation.

 

La médiation elle-même a son importance :

   - la piscine, l’eau

   - le poney,

   - le rocher et la varappe,

   - les repas thérapeutiques.

 

La réalité matérielle a sa fonction potentielle propre : à son contact, il se crée des « évènements ». (Il se passe quelque chose).

 

Il faut insister sur l’importance du « post-groupe ». Les soignants s’imposent de dire leurs expériences ressenties. C’est très difficile. Nous prenons le risque de vivre des choses bizarres qui nous interrogent sur nous-mêmes. Il faut se faire confiance mutuellement. Il faut tolérer de ne pas tout comprendre. Il faut tolérer d’inventer des fictions (le « conte » comme les histoires d’enfants). Il faut être prêt à se laisser décontenancé (c’est dans ces moments là que des choses imprévues surgissent).

 

Pour finir :

 

L’importance du cadre.

 

Il a :

   - une fonction de limite : un espace (un lieu précis) : un temps (un avant et un après)

   - une fonction contenante des états psychiques (actes, gestes …)

   - une fonction symbolique : il crée une condition d’accès à la symbolisation par ce qu’on a à en dire à soi puis à l’enfant (inscrire le ressenti dans le langage).