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Quelques conférences

Le lien, la rencontre et la relation d'objet. 

Quelques Conférences

 

-       Ferenczi et le trauma, 2001                                                                    (Voir Page Trauma)

-       Du trauma et de ses effets psychiques immédiats à une élaboration de la position de victime. Rôles du thérapeute. Pour une prévention des conséquences transgénérationnelles, 2001 (Voir Page Trauma)

-       Figurabilité et autisme, 2002                                                                  (Voir Page Autisme)

-       Objet esthétique, impact esthétique, conflit esthétique, 2006

-       Père et potentialité psychotique, 2006

-       Présentation : Maurice Bouvet. Dépersonnalisation et relation d’objet, 2006

-       Hallucinations somatiques, souffrances narcissiques, symbolisation primaire, sensations hallucinées (Piera Aulagnier et René Roussillon), 2007

-       Le lien, la rencontre, autour de la relation d’objet, 2008                    (Voir plus bas).

-       Pulsion, objet et lien en métapsychologie, entre théorie et clinique, 2008

-       Angoisse et phobie. Freud, Mélanie Klein et auteurs actuels, 2012  (Voir Page Notions Psy...)

-       Le lien, la rencontre et la relation d’objet, 2013

-       La notion de malléabilité, 2014

-       Hystérie et enfance, 2014

-       Les obsessions chez l’enfant et l’adolescent, 2015

Le lien en métapsychologie

Conférence

Le lien. La relation d’objet de l’enfance à l’âge adulte. La pulsion d’attachement. La Troisième Topique. L’Intersubjectivité.

 

Cet exposé didactique était destiné à une assemblée de psychanalystes, il voulait retracer les origines de ces notions encore polémiques depuis les travaux de Freud jusqu’à ceux d’aujourd’hui devenus possibles grâce en premier lieu à Winnicott et à Bion.  

La Psychanalyse s’est centrée longtemps uniquement sur l’intrapsychique. Le rôle de l’objet et l’intersubjectivité étaient ignorés. Il a fallu l’arrivée de Winnicott pour ouvrir la porte à une autre vision où l’intrapsychique du sujet et l’intrapsychique de l’objet lancent des ponts l’un vers l’autre.

Ainsi, nous dit Jean-Luc Graber : « Le lien fait pont au-dessus de l’abîme de la solitude et de la mort. »

Le lien, la rencontre, autour de la relation d’objet. Exposé introductif à la Journée d'Etude de l'Association Traversées Freudiennes : Pulsion, Objet et Lien en métapsychologie, entre théorie et clinique.

Mots clés : Agonies primitives (Winnicott), Angoisses archaïques, Attachement, Aulagnier (Piera), Bick (Esther), Bion (W. R.), Capacité de rêverie maternelle (Bion), Contenants psychiques, Démantèlement (Meltzer), Espace transitionnel (Winnicott), Etayage (Freud), Fonction alpha (Bion), Haag (Geneviève), Klein (Mélanie), Lien, Hallucination  négative de la mère (André Green), Identification (Freud), Identifications intracorporelles (G. Haag), Identification Projective, Imago, Incorporation, Intersubjectivité, Introjection, Malléabilité et Medium malléable, Moi-plaisir (Freud), Moi corporel (Geneviève Haag), Moi-peau (Didier Anzieu), Objet, Objet partiel et Objet total, Pare-excitation, Pathologies Narcissiques et Limites, Pictogrammes (Piera Aulagnier), Position adhésive ou Identité adhésive (E. Bick), Position Dépressive, Position schizo-paranoïde (M. Klein), Pulsions, Relation contenant/contenu (Bion), Relation d’Objet, Relation d’objet partiel / Relation d’Objet total (M. Klein), Relation mère-enfant, Rencontre, Roussillon (René), Self (Bion), Symbolisation (processus de), Terreurs sans nom (Bion), Topique (Première, deuxième et troisième), Traces graphiques (premières), Transfert (Freud), Trou noir de la psyché (Tustin), Tustin (Frances), Utilisation de l’objet (Winnicott), Winnicott (D.W.). 

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Le Lien. Pulsions et Relation d'Objet de l'enfant à l'adulte.

Vaste programme que celui de « retracer l’émergence et la constitution de la théorisation et de la clinique du lien, de la relation d’objet et de la rencontre »… Essayer de le faire d’une façon claire et didactique est une gageure. Je ne pourrai que vous en proposer une vision, qui taille dans le vif d’une centaine d’années de recherches théorico-cliniques. Au départ, elle sera classique, partant de Freud jusqu’aux auteurs de la troisième génération après Freud : Winnicott, Bion et Bick, en  passant par Mélanie Klein. Ensuite, pour en arriver à la question actuelle d’une troisième topique – topique des limites et des liens -, je me laisserai aller à des choix plus personnels, en passant par des théoriciens cliniciens de la petite enfance qui conceptualisent la naissance et le développement de la vie psychique de l’enfant et du nourrisson dans ses liens aux objets primaires. Et en donnant de petites vignettes cliniques, qui allègeront j’espère, le propos. Pour en arriver à quelques questions et théorisations récentes. 

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Pour parcourir ces questions, nous allons donc cheminer depuis Freud dans l’émergence de la théorisation et de la clinique du lien en la situant par rapport à la théorie des pulsions, qui demeure, en large part, le fondement de la métapsychologie.

Cet exposé sera donc essentiellement théorique, avec quelques vignettes illustratives.

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Freud ou le premier maillon du lien…

Nous allons voir, dans cet inventaire très résumé des théories freudiennes des pulsions et du lien aux objets (pourrait-on dire car Freud, lui, n’a pas employé le terme de lien), les concepts de pulsions, d’objet – objet de la pulsion, objet partiel, objet interne, objet d’amour, imago - et celles d’étayage, de liaison psychique, d’identification, d’introjection… 

La théorie des pulsions chez Freud.

Le concept de « pulsion » est un concept fondamental, nécessaire à l’intelligibilité dynamique des processus psychiques. Elle demeure dans l’œuvre de Freud comme le référent dynamique prééminent de la vie psychique humaine et s’y exprime en tant que libido. La théorie des pulsions demeure en cela le fondement de la métapsychologie.

Trois ouvrages majeurs permettent de repérer la progression dans la théorie freudienne des pulsions : a) Trois essais sur la théorie de la sexualité » en 1905, (Paris, Gallimard, 1962) ; b) Pour introduire le narcissisme en 1914 et les articles rédigés en 1915 (dont « Pulsions et destin des pulsions »), et enfin c) Au-delà du principe de plaisir en 1920.

En 1905, Freud définit la pulsion comme un concept limite entre le psychique et le somatique : c’est «  le représentant psychique d’une source continue d’excitation provenant de l’intérieur de l’organisme que nous différencions de l’excitation extérieure et discontinue ».

Il qualifie ensuite dans son œuvre les pulsions : elles sont sexuelles, du Moi, d’autoconservation, d’agression, de domination, d’emprise, de destruction, de vie, de mort, de savoir, grégaire, sociales… 

En 1915, à côté de la description du Moi et du narcissisme, la pulsion, sa poussée et ses représentants psychiques sont précisés. Les pulsions existent comme quantité susceptible de produire un certain travail dans la vie psychique. La pulsion, « trieb » en allemand, est une force en mouvement. Les pulsions sont actualisées en « motions pulsionnelles ». La pulsion sexuelle transforme l’énergie des processus sexuels organiques en énergie sexuelle psychique, la libido.

Au-delà du principe de plaisir en 1920 instaure les pulsions de vie et de mort. C’est la deuxième théorie des pulsions.

Les pulsions sont conçues sur un mode duel, les dualismes pulsionnels.

Dés 1892 et jusqu’à ses ultimes travaux, Freud envisage les processus psychiques comme des formes résultant de conflits sous-jacents alimentés par des forces opposées. Ces forces sont fournies par les pulsions sexuelles opposées aux pulsions du Moi ou autoconservation (dans la première topique) ; puis par la libido d’objet opposée à la libido du Moi (1914 Pour introduire le narcissisme), enfin par les pulsions de vie et de mort (à partir de 1920, seconde topique et au-delà).

 

L’objet, la liaison et l’étayage chez Freud.

Dans la théorie des pulsions, l’objet est intégré. La pulsion dans son trajet a une source, une poussée, un but et un objet. L’objet est ce par quoi la pulsion peut atteindre son but. Déjà, Freud souligne que l’objet est ce qu’il y a de plus variable dans le trajet de la pulsion, qu’il n’y est pas originairement lié. La liaison devra se construire. Il ajoute que l’objet n’est pas nécessairement un objet extérieur ; il est tout ce qui est susceptible d’être investi, donc aussi le corps propre à travers les auto-érotismes.

Freud n’emploiera pas le terme de lien. Il parle d’abord de liaison, dés 1895, dans l’Esquisse, d’un processus de liaison qui lie l’énergie libre, pure excitation pulsionnelle et propre au processus primaire, à des représentations. La liaison endigue l’énergie du processus primaire qui est celle de la décharge. L’énergie qui était libre, devient liée. C’est un processus au service des pulsions de vie, selon la deuxième théorie des pulsions, tandis que la déliaison est au service des pulsions de mort.

L’énergie libre tend à se décharger directement. Au cours du trajet de la pulsion, elle est liée à des représentations, représentations inconscientes, préconscientes, conscientes.

(Et le lien, si on se permet ce terme dés maintenant, serait alors ici ce qui fait pont entre le Moi et l’objet par le trajet de la pulsion.)

En 1920, dans Au-delà du principe de plaisir se pose la question du rôle de l’objet dans le travail de liaison primaire contre le chaos et la désorganisation et dans la transposition du processus primaire régnant dans les motions pulsionnelles par le processus secondaire. (Rapport de B. Brusset  dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse, p 1244)

 

La notion d’étayage (S’étayer signifie « prendre appui sur ») a été introduite par Freud d’abord pour rendre compte de la relation, chez l’enfant, entre les pulsions sexuelles et les pulsions d’autoconservation ou pulsions du moi. Les pulsions sexuelles s’étayent d’abord sur les pulsions d’autoconservation, avant de devenir indépendantes. Pour Freud, l’autoconservation peut montrer à la sexualité la voie du « choix d’objet » ; celui-ci est d’abord élu selon le modèle d’une des personnes importantes pour la survie : « la mère qui nourrit, le père qui protège ». Ce choix d’objet par étayage est opposé, dans Pour introduire le narcissisme en 1914 au « choix d’objet narcissique » (objet choisi sur le modèle du Moi propre).

Freud est amené alors à distinguer deux ordres d’objets : un objet proprement pulsionnel (personne, partie d’une personne investie par la pulsion, objet partiel investi par les pulsions partielles, objet fantasmatique) et un objet total, objet d’amour ou de haine. Lorsque, après le stade purement narcissique, l’objet est reconnu comme source de plaisir, il peut devenir objet d’amour, être aimé et être incorporé au Moi. Les termes amour et haine ne doivent pas être utilisés pour la relation des pulsions à leurs objets, mais réservés pour les relation du Moi total aux objets. Le concept de « choix d’objet » (choix objectal ou choix d’objet narcissique) fait ainsi référence à l’objet d’amour / haine et non à l’objet pulsionnel. (Pulsions et destin des pulsions.)

 

Ainsi, insistent Laplanche et Pontalis, l’objet en psychanalyse n’est pas seulement à entendre par référence à la pulsion. Elle désigne aussi tout ce qui est pour le sujet objet d’attirance, objet d’amour, le plus généralement une personne. Ce n’est que l’investigation psychanalytique qui permet de découvrir là le jeu propre des pulsions.

 

Les identifications, les introjections, les objets internes et les imagos.

Dans les concepts d’identification, d’introjection, de projection, d’intériorisation, d’incorporation, d’objets internes et d’imagos, Freud fait une large place au lien avec les objets, objets de la pulsion et objets totaux d’amour et de haine.

Le processus d’identification est le processus par lequel un sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de l’autre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle de celui-ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série d’identifications.

Incorporation et introjection sont des prototypes de l’identification.

L’incorporation est le processus par lequel le sujet, sur un mode fantasmatique, fait pénétrer et garde un objet à l’intérieur de son corps. L’incorporation constitue un but pulsionnel et un mode de relation d’objet caractéristique du stade oral et constitue le prototype corporel de l’introjection. Le processus d’incorporation se rapporte explicitement à la limite corporelle entre un intérieur et un extérieur.

Le terme d’introjection est plus large : il y a introjection à l’intérieur de l’appareil psychique ou d’une instance, sur un mode fantasmatique, des objets et des qualités inhérentes à ces objets. L’introjection est opposée à la projection. Le « moi-plaisir purifié » (1915, Pulsions et destins…), originaire, se constitue par une introjection de tout ce qui est source de plaisir et par une projection au-dehors de tout ce qui est occasion de déplaisir.

L’objet ou les qualités de l’objet introjecté deviennent objets internes.

La notion d’imago est due à Carl Yung et repris par Freud dans certains de ses textes. L’imago est un prototype inconscient de personnages qui oriente directement la façon dont le sujet appréhende autrui ; il est élaboré à partir des premières relations intersubjectives réelles et fantasmatiques avec l’entourage familial. Ce concept sera repris par Mélanie Klein. Une Imago, ou image inconsciente empreinte des fantasmes archaïques et par là terrifiante, serait – selon Nicholas Abraham et Maria Törok – constitué par incorporation, alors que l’objet interne l’est par introjection.

L’Objet dans les Topiques.

Le rôle de l’objet dans la constitution des instances de la deuxième topique est clairement désigné. L’objet est élément constituant des motions pulsionnelles et pôle externe d’investissement, il joue un rôle majeur dans les différenciations progressives et relatives des instances à partir du Ca. Par le processus de l’identification, les objets, internes, participent à la construction du Moi et le modifient. Le surmoi se constitue par intériorisation des exigences et interdits parentaux. L‘idéal du moi résulte de la convergence du narcissisme – idéalisation du moi, toute-puissance – et des identifications aux parents en tant qu’objets d’amour.

Le Transfert.

Dans le transfert, se projettent, se répètent et s’actualisent les prototypes infantiles, imagos et objets internes. Freud décrit le transfert comme un processus où se revit la relation du sujet aux figures parentales avec notamment l’ambivalence pulsionnelle qui la caractérise. 

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Winnicott (1896 – 1971), Bion (1897 – 1979) et Bick (1901 – 1983) sont trois contemporains (une quinzaine d’années de moins que Mélanie Klein.) Ils ont travaillé à la même époque, tous les trois ont des liens avec Mélanie Klein mais il est fort difficile de savoir si leurs propres travaux se sont influencés les uns les autres. Cela paraît peu probable, or il est saisissant de constater combien ils se complètent et s’enrichissent mutuellement.

 

Donald W. Winnicott, d’une manière novatrice dans la théorisation du lien objet / sujet, privilégie la réponse de l’objet dans le développement de la vie psychique du sujet. 

La mère « suffisamment bonne » aura, aux débuts de la vie, de par sa « préoccupation maternelle primaire », des fonctions spécifiques : de pare-excitations, de « holding » et de « handling » c’est-à-dire de portage et de soins physiques mais aussi relationnels. Elle recevra les expressions de l’enfant, tout ce qu’il envoie vers l’extérieur – appels, expressions de malaise mais aussi vocalises, sourires directement adressés ou pas encore, attitudes diverses  – enverra des réponses qui modifieront les sensations de l’enfant, manifestant par cela sa capacité d’interprétation (et de rêverie, ce qui sera conceptualisé par W. R. Bion). Progressivement aussi et naturellement, elle diffèrera ses réponses, s’occupera aussi ailleurs permettant à l’enfant de prendre ainsi conscience de cette différence entre lui et elle. Le premier espace qui se créera est nommé « espace transitionnel ». Il n’est ni propre à l’enfant seul, ni propre à la mère seule. Il est fait de leur union et de leur désunion à la fois. Il se concrétise par l’« objet transitionnel », objet consistant, malléable et doux que l’enfant manipulera, sucera, sentira, et qui représentera l’union de la relation fusionnelle initiale sans l’être réellement. C’est dans cet espace que deviendront possibles les premiers jeux et intérêts extérieurs puis les phénomènes culturels investis.

L’utilisation – ou usage – de l’objet est au centre de ses préoccupations. L’environnement maternant doit non seulement offrir des objets (en premier lieu le sein) mais les offrir au bon moment, juste au moment où le nourrisson est prêt à les « créer ». L’environnement suffisamment bon entretient le bébé dans l’illusion omnipotente de créer l’objet, avant de l’accompagner sur le chemin du désillusionnement. (Ciccone et Lhôpital, 1, p 243) L’objet est ainsi trouvé-créé. Pour que cela soit possible et permette le processus de symbolisation, une place primordiale est accordée à la réponse de l’objet.  Pour être découvert, l’objet doit « survivre » à la destructivité, il doit se laisser « utiliser ». Winnicott parle de trois caractéristiques fondamentales de réponses de l’objet : absence de retrait, absence de représailles ou de rétorsion, capacité de se montrer créatif et vivant.

 

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Je vais dire directement ici, en me permettant un saut chronologique, que ces notions des qualités de l’objet ont été repris récemment par René Roussillon, à partir des travaux de Winnicott sur la qualité de l’objet et de ceux de Marion Milner, conceptualisés à partir de l’analyse d’un sujet psychotique, pour décrire les qualités de l’objet malléable nécessaire au processus de symbolisation. Il s’agit des qualités de l’objet tel qu’il est perçu, investi et utilisé par le sujet, et nécessaire au développement des processus de symbolisation et, dans la cure, à tout travail thérapeutique, surtout avec des jeunes enfants et avec des patients à fonctionnement psychotique.

R. Roussillon donne des définition et propriétés à cet objet « médium malléable ». Il doit avant tout être indestructible. Il rapproche cette propriété des formulations de D.W. Winnicott à propos de l’« utilisation de l’objet » : l’objet doit pouvoir être atteint et détruit (modifié) – il change de forme – mais il doit « survivre ». L’objet médium malléable doit pouvoir être aussi d’une extrême sensibilité. Il doit pouvoir être indéfiniment transformable tout en restant lui-même. Il est inconditionnellement disponible et doit rester vivant. L’objet médium malléable, avec ses cinq qualités - indestructibilité, extrême sensibilité, indéfinie transformation, inconditionnelle disponibilité et animation propre – représente, selon R. Roussillon, l’objet transitionnel du processus de représentation. Dans la clinique avec des jeunes enfants et dans les observations du nourrisson, nous constatons combien ces qualités de l’objet extérieur en lien avec le sujet, est nécessaire au développement dés les phases les plus précoces de la vie psychique. Les réponses des objets, pour être contenantes des émergences agressives notamment mais aussi de celles des détresses précoces et permettre leur dépassement dans le développement des capacités de symbolisation et de langage, doivent témoigner à la fois de ces qualités de réceptivité et de solidité, sans retrait et sans rétorsion punitive.

Bernard Golse lui aussi a théorisé cet objet médium malléable et décrit comment ses qualités permettaient autant le lien que la séparation : « Pour se séparer, dit-il, il faut ressentir que nous garderons des traces en nous d’un objet qui gardera des traces de nous. » L’objet médium malléable garde l’empreinte du sujet qui l’a utilisé et le sujet l’empreinte de l’objet. Ils peuvent se séparer tout en gardant des liens.

 

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Esther Bick (1902 – 1983) était contemporaine de Winnicott et de Bion mais ses travaux n’ont été diffusés en France que dans les années quatre-vingt. Elle a donné naissance à la technique de l’observation du nourrisson dans sa famille qui est devenue une formation quasi incontournable pour les praticiens de la petite enfance. Esther Bick s’est penchée sur la vie psychique des nouveaux-nés et des nourrissons et a permis la conceptualisation d’une position antérieure à celles décrites par Mélanie Klein, nommée position adhésive, caractéristique des premières semaines de vie et des fonctionnements autistiques. Son article princeps : « L’expérience de la peau dans les relations d’objet précoces…. » - a été publié en 1968 et traduit en français pour la première fois par Michel Haag en 1984, dans l’ouvrage dirigé par Donald Meltzer nommé « Explorations dans le Monde de l’autisme. » En voici un extrait fondamental : « La thèse est que dans leur forme la plus primitive, les parties de la personnalité sont ressenties comme n’ayant entre elles aucune force liante et doivent par conséquent être maintenues ensemble, d’une façon qui est vécue passivement par elles, grâce à la peau fonctionnant comme une frontière. » Et plus loin : «  Le besoin d’un objet contenant semblerait, dans l’état non intégré du premier âge, produire une recherche frénétique d’une lumière, une voix, une odeur, ou un autre objet sensuel – qui puisse retenir d’attention et, partant, être éprouvé, momentanément au moins comme tenant rassemblées les parties de la personnalité. L’objet optimal est le mamelon-dans-la-bouche joint à la façon qu’a la mère de tenir et de parler et à son odeur familière.

Le matériel montrera comment cet objet contenant est expérimenté comme une peau. »

A ce stade, le bébé a besoin fondamentalement de se sentir tenu et contenu d’une manière continue. Sinon, il se sent tomber. Tomber en chute tourbillonnaire infinie dans un trou noir, comme le montrera Frances Tustin ensuite. Tomber sans fin, se répandre dans l’espace, s’effacer dans l’anéantissement, se démanteler, se sentir amputé (bouche, ombilic), sont les vécus archaïques de cette position adhésive où le seul recours est de se coller à, s’agripper à une sensation, un objet. Première forme sans doute du vécu d’abandon, dans les sensations corporelles directement. Tous ces vécus archaïques se retrouvent dans les pathologies de type autistique. (Nous les reprendrons plus loin dans une perspective des vécus de perte du lien. Ici, il s’agit de la perte de l’objet contenant de la position adhésive.)

 

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Wilfred Ruprecht Bion a créé de nouveaux modèles de la relation entre deux psychismes à travers la relation contenant/contenu et les notions d’identification projective normale indispensable à la possibilité de communication (et d’empathie). La première relation contenant/contenu est la relation du bébé au sein. Le bébé éprouve le besoin d’un sein, par une sorte de « préconception innée », de « pensée vide » qui attend d’être « remplie » ou « saturée » par la réalisation du sein. Mais « Un sein absent est un sein persécuteur » et le mauvais sein est ressenti comme une « chose en soi », une « protopensée » qui présente les caractéristiques d’un élément bêta. Cet élément bêta nécessite d’être évacué. L’assimilation de nourriture se confond avec l’évacuation du mauvais sein. Le mauvais-sein-élément-bêta, projeté dans le sein de la mère, y sera transformé, converti en élément alpha, et réintrojecté. Un contenu « le « mauvais sein » est projeté dans un contenant (le sein maternel) où il est « appareillé » avec ce contenant, avant d’être réintrojecté sous la forme d’un « contenant-contenu. » Cet appareil devient le propre appareil à penser de l’enfant. Ce processus a été possible grâce à la « capacité de rêverie » de la mère, capable de recevoir et de transformer les éléments bêta pour les renvoyer « détoxiqués », en élément alpha utilisables par la pensée. 

 

Une donnée de l’observation du nourrisson dans un autre domaine des soins maternels peut aider à se représenter ce phénomène : Un bébé dans le bain s’agite. Sa mère qui le tient lui dit : « Mais non, je ne vais pas te laisser tomber ! » Et, dans le même temps, elle le tient d’une façon plus sécurisante pour lui. Par sa capacité de rêverie, cette mère a pu recevoir l’élément bêta message de détresse du bébé, élément d’un vécu brut, le ressentir, l’interpréter correctement, y réagir par la parole et le modifier par le comportement.

 

Bion est le premier psychanalyste théoricien à parler de « lien », de processus de liaison opposés à des forces qui les attaquent.

 

Il appelle Self le monde interne peuplé d’objets internes décrit par Mélanie Klein. Des parties du Self nouent et dénouent des liens qui les rattachent aux objets internes de la même façon que dans le monde externe nous nouons et dénouons les liens qui nous rattachent aux autres. Dans cette perspective, le sentiment d’identité n’est pas une évidence coupée de ses racines corporelles non plus que des fantasmes qui les accompagnent. Il est défini par le sentiment de former un tout ayant une continuité spatiale et temporelle. Mais il ne se construit pas automatiquement, c’est une tâche difficile qui passe par un temps où la relation contenant – contenu ne permet encore que la constitution d’agglomérats. Dans l’agglomérat, par une tentative d’auto-contenance, les parties du self s’agglutinent comme des briques afin d’assurer la continuité de leur identité. (Cl. Atthanassiou). Ces agglomérats formeront « l’écran bêta ». Les diverses expériences affectives, non reliées les unes aux autres, forment des fragments qui sont d’abord unis, collés, agglomérés grâce au fonctionnement perceptivo-sensoriel ayant une fonction de colle, à des fragments d’objet. Plus tard, ces fragments d’expériences affectives deviendront des fragments du moi. (D. Marcelli). Dans le cours de la croissance normale, les éléments bêta sont destinés à se transformer de telle sorte que leur mouvance devienne possible et que le lien qui les rassemble revête un autre caractère.

 

Les éléments primitifs de la personne sont transformables par l’intervention d’une autre personne. Cette rencontre entraîne des modifications dans la manière dont les éléments vont se lier entre eux : au lieu de former des agglomérats, ils vont nouer de véritables liens de telle sorte que l’écran rigide forme à présent un tissu souple destiné à permettre de passer d’un côté à l’autre de la barrière qu’il instaure dans l’espace. Bion nomme cette formation une « barrière de contact ». (Cl. Atthanassiou)

 

Les liens sont ainsi pour Bion les liens qui relient entre elles les parties du self d’une part et le self et ses parties aux objets externes d’autre part.  Il écrit trois types de lien : le liens d’amour, lien A, le lien de haine – lien H, le lien de connaissance – lien C. A la formation de ces liens s’opposent ce qui les attaque et les défait, l’attaque contre les liens.

 

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Toutes ces notions que nous venons de citer -  la relation contenant/contenu, la fonction alpha, l’utilisation de l’objet, l’objet malléable, l’objet contenant, - auront des incidences très importantes pour conceptualiser le travail de l’analyste en séance et le lien transfero-contre transférentiel dans les cures. 

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« Un bébé tout seul, ça n’existe pas » affirmait Winnicott. Depuis les travaux de Winnicott, Bion et Bick, et le développement de la psychanalyse du nourrisson, il est devenu impossible de concevoir « un bébé tout seul » sans ses liens avec la mère-environnement… 

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Piera Aulagnier et le pictogramme.

Dans cette recherche sur le lien, nous devons donner une place à la notion de pictogramme décrite par Piera Aulagnier, psychanalyste qui a beaucoup travaillé avec des patients psychotiques et qui a confronté son expérience avec celles de psychanalystes d’enfants, tels Donald Meltzer et Frances Tustin. La notion de pictogramme en porte les traces. Il s’agit de la représentation de la rencontre première entre l’infans et le monde représenté par le corps de sa mère.

Dans cette relation spéculaire originaire, corps à corps, peau à peau, bouche à sein, œil à œil, le sentiment de cohésion de l’infans est constitué du vécu de continuité de la source sensorielle et de l’objet - zone complémentaire :  sa peau et la peau de sa mère, sa bouche et le sein de sa mère (le téton-dans-la-bouche- d’Esther Bick), ses yeux et les yeux de sa mère, son oreille (interne) et la voix de sa mère. L’expérience primordiale d’un éprouvé de plaisir quand la rencontre est réussie donne un pictogramme de jonction -,  l’expérience catastrophique de sa rupture ou de l’intrusion de l’objet-zone complémentaire dans la source sensorielle donne un pictogramme de rejet. (Cf. Le méchant piquant dans la bouche du patient John de Frances Tustin)

Le pictogramme correspond à la représentation originaire du lien à l’objet, qui est ici un objet zone complémentaire. Il y a vécu de continuité entre la source corporelle et cet objet. 

Il serait notamment la représentation originaire de la rencontre bouche-sein.

Nous y retrouvons les mêmes notions, vues sous l’angle de la représentation, que celle de la relation contenant –contenu première de Bion qui est la relation du bébé au sein, et que celle de l’objet contenant optimal qui tient ensemble les parties de la personnalité de Bick.

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Petite vignette.

Un nouveau-né à terme né dans des conditions satisfaisantes, posé dés la naissance sur le ventre de sa mère, va hisser son corps vers la poitrine de sa mère et emboîter sa bouche au sein.

Pour aborder là la question du lien entre théories de la relation d’objet et théorie des pulsions, que voyons-nous ici et que pouvons nous en concevoir dans une réflexion métapsychologique ? Est-ce un réflexe qui fait partie de ce qui est nommé en médecine les « réflexes archaïques »? Est-ce un instinct ? Sans doute. Ce comportement observé entre dans le phénomène de l’attachement décrit par Bowlby sans doute aussi. Des discussions sont ouvertes où l’attachement est conçu souvent comme excluant toute idée pulsionnelle. Les pulsions, pourtant, ne s’étayent-elles pas sur les instincts, la libido sur le besoin, les pulsions sexuelles sur les pulsions d’autoconservation ? « L’autoconservation peut montrer à la sexualité la voie du « choix d’objet » disait Freud. Des auteurs, tel Bernard Golse, travaillent alors aujourd’hui sur ce qui pourrait être conceptualisé comme une pulsion d’attachement.

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Nous venons de voir, dans cette recherche de l’émergence de la notion de lien, les apports de Bion et de Bick, qui, avec les travaux de Didier Anzieu sur le Moi-Peau, sont devenus le point de départ des conceptions sur les enveloppes et contenants psychiques dans le lien aux objets, et, pour leur constitution, dans le lien aux objets primaires.

 

De la profusion de travaux qui en résultent et qui me semblent particulièrement bien placés dans cette recherche sur le lien, j’aimerais mettre en lumière quelques uns des apports de cliniciens théoriciens de la clinique des nourrissons et des enfants avec autisme et, parmi eux, donner une place de choix à ceux de Geneviève Haag sur les identifications intracorporelles et l’hypothèse d’une structure radiaire de contenance du moi corporel en lien avec les objets, belle représentation de l’importance du lien à l’objet dans la constitution du moi corporel, de ses enveloppes et de son noyau. Cette hypothèse reprend l’image de la boucle subjectivante, boucle formée du lancer vers l’objet des éléments bêta, et de son retour à partir du point de rebond de la réponse maternelle.

 

Il m’a fallu choisir un axe pour clore cette recherche et, dans ce qui s’offrait à moi, j’ai opéré un choix, absolument personnel et un axe de présentation. Ce choix est donc une théorisation de Geneviève Haag que je vais introduire en reprenant à ma façon les positions que nous avons citées et leurs achoppements.

 

Pour cela,  je voudrais citer le concept d’hallucination négative de la mère (André Green) comme modèle de son intériorisation. L’objet primaire s’efface dans la réalité tandis que l’intériorisation de ses qualités, de ses fonctions et de ses réponses, forme, dans l’espace psychique, une structure encadrante de l’espace représentatif, un contenant, une matrice interne où peuvent s’inscrire les représentations et les pensées. L’appareil à penser les pensées de Bion, constitué chez le sujet par identification à la fonction alpha de la mère, revient ici. L’hallucination négative de la mère est une autre façon d’intégrer le lien aux objets primaires dans la structure même de l’appareil psychique. 

 

Et Albert Ciccone et Marc Lhôpital, auteurs de l’excellent ouvrage, Naissance à la vie psychique, avancent (p 6)  : « Plus que l’objet, c’est le lien à l’objet qui est introjecté. »

 

Dans les touts premiers liens aux objets primaires, nous avons déjà parlé de l’emboîtement de la bouche au sein, du regard au regard…, avec comme représentation le pictogramme originaire de la rencontre première. Nous en retrouvons une figuration dans les toutes premières traces graphiques de l’enfant, dans ces points, petits points doux ou gros points écrasés et transperçants, forme de symbolisation primaire de ces rencontres premières. Ces points dans le dessin de l’enfant apparaissent en même temps que les premiers traits lancés dans l’espace, comme une figuration là encore des appels, des lancers des éléments bêta.

Dans ce temps de la position adhésive, le moi corporel – qui est fantasmatique, représentation fantasmatique du soi, et qui se forme, nous dit G. Haag, dans le rythme psychisé des échanges avec l’objet primaire – doit être tenu par un objet contenant « qui tient ensemble les parties de la personnalité » selon Bick, « les parties du self » encore en « agglomérat » selon Bion. En l’absence de cette tenue, les vécus archaïques de ce temps-là sont les agonies primitives de Winnicott, les terreurs sans nom de Bion, les sensations de chute sans fin et tourbillonnaire dans un trou noir (Frances Tustin), de démantèlement (Donald Meltzer), de vidage du contenu du corps, d’anéantissement, et les sensations d’amputation corporelle : amputation de la bouche, amputation de la zone ombilicale…

La clinique de ces formes que l’on retrouve particulièrement dans l’autisme, pourrait s’appeler la clinique du lien perdu, du lien corporellement perdu.

Le démantèlement, décrit par Donald Meltzer, est un exemple de l’effet de la perte du lien à l’objet contenant dans la position adhésive. Là, ce sont les « agglomérats » qui se défont, qui tombent comme tomberait les briques d’un mur où disparaîtrait le ciment.

 

Ce que nous pourrions appeler le lien d’attention constitue ce qui pourrait être, du côté de l’environnement maternant, le lien de cette phase nécessaire pour tenir ensemble les parties du self.

En voici une représentation tirée d’une observation d’un bébé en crèche relatée par Geneviève Haag dans un colloque.

Un bébé de six mois est allongé sur le dos, sur un tapis. Il gesticule, ses gestes sont désordonnés, ses bras et ses jambes sont agités de mouvements saccadés, incoordonnés.  Il semble dans un état de détresse. Des adultes passent à ses côtés, il continue à gesticuler de la même façon. Une éducatrice s’approche, le regarde. Le bébé plonge son regard dans le regard de l’éducatrice et, de ses bras et de ses jambes, opère alors un grand mouvement de rassemblement, large et harmonieux, qui fait se réunir ses mains devant lui, et s’apaise.

Ce lien continue à importer dans la vie d’un adulte, en particulier dans ses périodes de déstabilisation. En voici un exemple tiré de la littérature autobiographique. Dans un de ses derniers livres, Le boulevard périphérique, Henry Bauchau raconte ses liens avec un jeune alpiniste au début de la dernière guerre. Henry Bauchau souffre de vertiges invalidants, pourtant il suit cet ami qu’il admire intensément, dans des escalades à flanc de montagne. A un moment critique, alors qu’il doit réussir une prise difficile et qu’aucun retour en arrière n’est possible, il se sent envahi d’un intense vertige. Se sentant au bord de tomber, il capte un long regard très intense de son ami qui le considère sans un mot, quelques mètres plus haut. Alors tenu, retenu avant la chute, dans un mouvement ample, il réussit à saisir de sa main et de son pied les prises qui lui semblaient inaccessibles et à se hisser hors de danger.

Comment ne pas faire de lien (le lien encore, lien associatif maintenant) avec cette fameuse image donnée par Piera Aulagnier dans les « sensations hallucinées » qu’elle décrit face à des patients psychotiques qui se figent soudain comme en état de vide : au bord du gouffre où le sujet se sent sombrer, une main saisit le rocher. Pendant un temps, main et rocher ne font plus qu’un et le sujet est réduit à cette continuité main-rocher. Dans ce pictogramme de jonction, et au cœur de la rencontre avec l’analyste, le sujet a arrêté sa chute. 

Et pour en revenir au lien d’attention, voici une nouvelle vignette, cette fois tirée d’une analyse d’enfant avec autisme que j’ai effectuée il y a quelques années.

Je reçois Thibaut depuis environ un an. Dans cette séance, il est assis à la petite table devant un dessin qu’il réalise. Je suis assise près de lui. L’atmosphère est très calme quand, tout à coup, la tête de Thibaut tombe en avant sur la table dans un grand bruit. Je me rends compte alors que mon attention, d’habitude vigilante, venait juste de s’échapper. Cette scène fait écho, quand je la raconte ainsi, avec une séance du tout début de notre cure, où la mère était encore présente. Cette mère souffrait d’un symptôme très spécial à cette époque là et depuis la naissance de son enfant : vertigineuse, elle tombait en permanence, dans n’importe quelle circonstance, à la maison comme à l’extérieur, son enfant avec elle ou sans lui. A un moment de vide entre nous trois dans le bureau, brutalement et en même temps, Thibaut s’était renversé en avant et était tombé brutalement sur cette même petite table s’éclatant la lèvre, et la mère était tombée de son siège jusqu’au sol.

Les thérapies avec des jeunes enfants souffrant de troubles graves, dysharmoniques ou autistiques, ne semblent parler que de ces chutes et de ces liens perdus, rompus, arrachés, dans la souffrance. Nous le voyons chez ces enfants dont la bouche semble ne former qu’un trou, qui déambulent en bavant la bouche ouverte et qui s’y engouffre à l’occasion les objets à leur portée ; chez ceux qui à peine posés au sol cherchent à grimper sur le moindre meuble, quand ils le peuvent jusqu’au plafond qu’ils viennent toucher de la main, comme un bébé le fait avec le visage de sa mère, et qui s’engouffrent dans les fenêtres ouvertes dont le vide semble les appeler ; chez cette petite fille qui passe ses journées en tenant contre son ventre ce que les soignants de l’hôpital de jour qui s’occupent d’elle nomme « son lien », une sorte de laisse avec un nœud coulant comme un boucle, bien évocateur d’un cordon ombilical, qui pend faute d’avoir, peut-être gardé l’objet au bout ; chez ce petit garçon de quatre ans qui s’est arrêté de se développer à deux ans à la naissance de son frère et dont les premiers mots, répétés jour après jour, sont « C’est cassé ! Y’a quelqu’un ? »

Le lien suivant, celui de la position schizo-paranoïde et de l’identification projective, serait le lien d’empiètement peut-être. L’identification projective pathologique décrite par Mélanie Klein est nommée souvent aussi l’identification intrusive. Les vécus agonistiques de cette phase sont la perforation corporelle, la pénétration intrusive, l’explosion corporelle, la dévoration…

Ces premières phases passées plus ou moins correctement, les vécus de perte du lien prennent la forme de vécus d’abandon, peut-être caractéristique de l’accès à la position dépressive.

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Dans les traces graphiques premières (appelées par les néophytes « gribouillages » ou « grabouillages ») qui continuent à reprendre et à symboliser les échanges avec le monde maternant, vont apparaître les traces balayées, grandes boucles ondulantes encore sans attaches, formes harmonieuses reprenant les lancers vers l’objet maintenant articulés à ses réponses. L’espace psychique tridimensionnel commence à se former. Apparaîtront ensuite les spirales, comme le mouvement général de la vie, qui revient vers les lieux précédents pour aller vers les lieux suivants dans de grandes boucles qui avancent et grandissent. Et, alors, pourront se représenter les ronds, les ronds fermés, pratiquement immédiatement transformés en forme radiaire comme celle du soleil. La forme radiaire alors, s’allongera de bas en haut, créant les premières représentations de bonhomme qui garde une structure radiaire dans la disposition des cheveux, des bras, des jambes et des doigts… Et dans la représentation d’une fleur.

Imaginons les pétales reliés au cœur de la fleur et suivons la conceptualisation par G. Haag du tissage de la première enveloppe du moi corporel (Elle s’y réfère à Anzieu, Kaës, Green, Tustin, Bick…). Elle insiste sur l’idée que les liens qui sont figurés dans cette représentation sont des liens pulsionnels et émotionnels. L’objet y est vu comme attractif, son rôle de pare-excitation n’est pas réduit à l’effet satisfaisant/calmant dans son aspect réduction des tensions, il a aussi un aspect excitation focalisant, rassemblement, unification, contention et organisation. Le noyau – le cœur de la fleur - représente le foyer pulsionnel et un premier axe comme un phallus interne parental sur lequel s’appuyer, tandis que la couronne des pétales est vue comme un halo proxémique dans une perception circulaire, constitué du ressenti rythmique des échanges. Dans celui-ci, le moi sensation envoie ses projections élément bêta vers l’objet externe qui les reçoit et, de ce point de rebond, reviennent vers le noyau les éléments alpha issus du travail de formation de l’objet. C’est la boucle. Et l’enveloppe se tisse de la réunion de tous ces points de rebond.

D’où, encore une fois, l’importance de la trace laissée dans l’objet et de l’écho transformateur de celui-ci dans l’accordage affectif consolidateur des liens. 

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Au terme de ce parcours,  et par les choix opérés, j’aurai laissé beaucoup d’auteurs et de conceptions au bord de la route, sans les utiliser, mais je ne peux pas faire autrement !